Sans biscuits, on brasse du vent
Le 16 novembre 2004, les travailleurs du site de Reconvilliers
du groupe Swissmetal, ont décidé d'entamer,
de leur propre chef, une grève. Les mesures
de restructuration mises en place au sein du groupe
avaient apporté son cortège de péjoration
des conditions de travail : flexibilisation des horaires,
baisse des salaires par le fait que les primes et avantages
(infirmière d'usine, participation pour le dentiste,
assurance maladie collective, essence meilleure marché,
....) étaient supprimées, remplacement
d'anciens travailleurs par des intérimaires
non formés et surtout un risque flagrant de
délocalisation du site de Reconvilliers vers
celui de Soleure. Lié à ce dernier aspect
fut le déclencheur de la grève : le licenciement
du directeur du site de Reconvilliers avec qui le personnel
voulait négocier. Forts de ces considérations,
les travailleurs réclamaient comme préalable
à l'ouverture de toute négociation, la
tête de celui qu'ils jugeaient comme premier
responsable : le patron du groupe, M. Hellweg.
Le syndicat UNIA a par la suite pris en main le mouvement.
La population de la région,déjà sinistrée par des fermetures d'usines, s'est
fortement mobilisée et a apporté son
soutien au personnel en grève : présence
aux manifestations, aux piquets de grève, donations,
...
Durant les 10 jours de grève, les travailleurs
sont restés fermes sur toutes leurs revendications.
Mais, le syndicat UNIA, représentant le personnel
en grève, et la direction de l'entreprise Swissmetal
se sont pour finir entendus sur un accord. Un accord
qui ne prévoyait concrètement que des
augmentations de salaires : rien sur la démission
de M. Hellweg, rien sur la flexibilisation et que des
promesses sur la revalorisation du site de Reconvilliers,
pourtant le fond du mécontentement. Le travail
pouvait recommencer, sur recommandation du syndicat,
aux dams de certains travailleurs qui n'ont pu que
constater, amers et désabusés, que les
jours de mobilisations et de sacrifices se concluaient
sur un accord boiteux.
Depuis, en ce début du mois de juin, les promesses
faites dans l'accord ne sont toujours pas respectées.
La victoire des travailleurs que nous présentait
le syndicat UNIA au soir de la signature du texte se
transforme en débâcle. La politique de
flexibilisation suit son cours, le site de Reconvilliers
est toujours menacé de délocalisation
(peu d'investissements financiers) et les travailleurs
craignent toujours pour leurs emplois.
La stratégie des syndicats suisses, basée
sur la représentativité par des professionnels
et la collaboration de classe, a montré ainsi
toutes ses limites. Les négociations se tenaient
avec les bureaucrates syndicaux, autoproclamés
représentants du personnel et les assemblées
générales étaient pilotées
par le représentant syndical de la boîte.
Peu de place était ainsi laissée à l'expression libre des travailleurs et à l'émergence
d'actions autonomes et peut-être plus radicales.
Le syndicat a clairement encadré le mouvement
et muselé une contestation qui risquait de le
déborder*
Au chapitre des stratégies foireuses, on apprend,
par la suite, que la défense des travailleurs
passe par l'actionnariat. Le syndicat UNIA est actionnaire
de Swissmetal et, à ce titre, il s'est exprimé lors de l'assemblée des actionnaires du groupe
qui s'est tenue ce 9 juin 2005. Sa représentante,
Mme Fabienne Blanc-Kuhn, a ainsi pu constater le mépris
de la direction et des actionnaires qui n'ont pas changé d'un iota la politique du groupe.
Mais que peut donc attendre ce syndicat par cette action.
On ose espérer que ce n'est pas pour toucher
des dividendes sur le dos des travailleurs, quoique
concrètement il les touche. Mais alors pense-t-il
réellement que subitement les actionnaires pourraient
avoir une conscience, surtout sans rapport de force
?
Sans biscuits pour faire peur, le syndicat brasse de l'air. Il est
englué dans la stratégie séculaire de la recherche
de la paix du travail** qui, pourtant, n'a plus de sens pour le
patronat. L'intérêt du patronat et celui des travailleurs
ne se rencontrent pas pour former l'intérêt
général, comme le claironne encore les syndicats
institutionnels à l'image de Mme Blanc-Kuhn dans la conclusion
de son intervention devant les actionnaires de Swissmetal : "
Peut-être qu'à ces conditions (respect de l'accord),
l'usine de la petite vallée de Tavannes retrouvera sa
sérénité et, ce qui compte pour des actionnaires,
sa productivité ". La collaboration de classe permet de
dégager au mieux que quelques miettes en échange de
concessions. Dans le contexte actuel de précarité
croissante du travail (chômage, contrats précaires,
flexibilité, mobilité, délocalisation,...)
l'agressivité des patrons n'a plus de mesure. Ils peuvent
laisser librement cours à la recherche du profit maximum et la
chair humaine n'est qu'un outil de production de plus. Face à
cette réalité d'une lutte des classes
toujours plus exacerbée, les syndicats institutionnels
ne sont pas les meilleures armes pour défendre
les intérêts des travailleurs. Une nouvelle
forme de syndicalisme est à créer . Un
syndicalisme construit et géré par les
travailleurs eux-mêmes et surtout englobant un
projet de société.
Notes
* Dans la phrase qui suit, on mesure à quel point
le rôle du syndicat n'est pas de défendre
uniquement les travailleurs mais également lui-même
et sa place comme interlocuteur légitime des
patrons : " Afin d'éviter tout malentendu
sur mon rôle et celui du syndicat UNIA dans le
démarrage de cette grève, sachez que
l'association patronale signataire de la convention
collective de travail a reconnu, par écrit,
que ce mouvement avait démarré à l'initiative des travailleurs et travailleuses de SWISSMETAL
et que le syndicat UNIA avait cherché toutes
les solutions acceptables pour le personnel tout en
garantissant la survie de l'entreprise. ", discours
de Mme Fabienne Blanc-Kuhn devant l'assemblée
des actionnaires de Swissmetal du 9 juin 2005.
** Apparue dans les années trente, cette notion
portée par les organisations patronales et syndicales
devait permettre de résoudre les conflits de
classe en affirmant un intérêt commun
entre patrons et ouvriers.
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