Qui défend ses droits n'est pas violent
Interview d'un membre de la section syndicale de la CNT
du chantier naval de Séville
L'interview qui suit provient du site internet de la
CNT-AIT de Séville en Espagne. En la publiant
en français, nous voulons attirer l'attention
sur une lutte dont on ne parle pas beaucoup. Certes
la télévision espagnole a montré des images d'affrontements entre les ouvriers et la
police, mais rien, à notre connaissance, n'a
filtré dans la presse étrangère.
Il y a quelque vingt ans, le chantier naval de Puerto
Real, près de Cadix, était le théâtre
de luttes exemplaires, dans lesquelles les anarcho-syndicalistes
de la CNT jouèrent un rôle important.
Ces luttes permirent le maintien des postes de travail
et l'engagement des travailleurs précaires.
Aujourd'hui l'emploi est à nouveau menacé dans ce secteur et les ouvriers reprennent la lutte
pour leur poste de travail.
À Séville où, petit à petit
au cours des années, l'entreprise mère
a " dégraissé " ses effectifs
en sous-traitant de plus en plus de tâches à des entreprises " auxiliaires ", la résistance
est particulièrement difficile. Mais comme l'explique
le militant qui s'exprime ci-dessous, l'auto-organisation
et l'action directe restent le meilleur moyen pour
les travailleurs de défendre leurs droits.
Question : peux-tu nous dire qui tu es ?
Réponse : je suis un travailleur de l'industrie
auxiliaire du chantier naval de Séville, même
si parler d' " industrie auxiliaire " ne
me semble pas très correct quand celle-ci se
charge du 80% de la construction d'un bateau. Je suis
aussi membre de la section syndicale de la CNT du chantier
naval. Ceci dit, dans cette interview, je suis le porte-parole
de ma propre opinion.
Q. : est-il vrai que le secteur naval est en crise ?
Et d'où provient cette crise ?
R. : la crise ne vient pas d'un manque de compétitivité,
des coûts élevés ou de la concurrence
d'autres chantiers navals. La crise est due à l'incompétence de la bureaucratie du chantier
naval. Il s'agit d'individus " désignés
", de politiciens, des gratte-papier négligents
qui au lieu de chercher des marchés, des commandes,
d'offrir les produits, d'arriver à des accords
avec la compagnie pétrolière espagnole
Repsol... regardent les mouches voler.
Nous avons démontré que nous pouvons terminer
les bateaux avant le délai prévu. Ce
n'est donc pas un problème de manque de compétitivité,
puisque nous sommes parfaitement qualifiés.
Ce que nous exigeons des dirigeants du chantier naval
s'est qu'ils fassent leur travail, qu'ils obtiennent
des commandes et qu'ils n'attendent pas qu'elles tombent
du ciel.
Q. : avez-vous offert un plan alternatif qui permette
de renflouer le chantier naval ?
R. : non.
Q. : peux-tu en dire plus ?
R. : nous n'avons pas à offrir une alternative
à une crise qu'ils ont causée. Négocier
des restructurations, des licenciements, des fermetures
camouflées, des augmentations de productivité est une erreur. S'ils veulent des plans qu'ils se creusent
les méninges, nous nous chargerons de les arrêter
si cela ne nous convient pas.
Q. : participez-vous aux négociations ?
R. : jusqu'à maintenant cela ne nous a pas intéressés.
Les forums qui ont lieu ne sont pas décisionnels,
les participants n'y vont que pour discuter, pour se
montrer ou pour manger au râtelier, comme le
font la gauche unie (IU) et le parti socialiste ouvrier
espagnol (PSOE). Pour perdre son temps, il y a déjà les syndicats du comité d'entreprise. Nous devons
construire un autre type de syndicalisme à l'extérieur
de cette ambiance, à la périphérie.
Q. : quelle est la composition du comité d'entreprise ?
R. : dans le chantier naval de Séville, seuls
300 travailleurs appartiennent au personnel d'IZAR,
anciennement " Chantiers navals espagnols ".
Le chantier naval a connu un processus de reconversion
qui a fait qu'en vingt ans, l'industrie auxiliaire
est devenue pratiquement hégémonique.
Dans cette industrie auxiliaire, nous sommes 1'100
travailleurs. Le comité d'entreprise dont on
parle est celui d'IZAR, puisque les entreprises auxiliaires
n'ont pas de comité ou que ceux-ci sont inopérants.
Dans le comité d'entreprise d'IZAR, depuis 30
ans, ce sont les commissions ouvrières (CCOO)
qui font la pluie et le beau temps. Les CCOO gagnent
à chaque fois [les élections syndicales]
parce qu'elles ont monté dans l'entreprise un
réseau clientéliste à qui tout
le monde doit des " faveurs ".
Q. : quelle est l'influence de la CNT ?
R. : la CNT dispose d'une section syndicale qui n'arrête
pas de grandir et qui organise ses affiliés
à l'intérieur du chantier naval. Nos
thèses reçoivent un bon accueil dans
les assemblées et nous influençons plusieurs
centaines de travailleurs. Ce que je dis n'est pas
de la propagande, c'est la vérité.
Q. : comment exercez-vous cette influence ?
R. : nous expliquons nos positions en évitant
de nous convertir en avant-garde. Nous nous opposons
à la précarité, nous sommes en
faveur du maintien de l'emploi et pour la dignité des travailleurs. Quand nous constatons que les gens
se bougent, nous sommes les premiers avec eux. Nous
essayons de faire que les gens s'expriment et luttent
pour leurs droits, en marge des discours savants de
" complet-cravate". Nous sommes influents
parce que notre message est celui qu'émettent
les gens dont nous sommes de simples porte-parole.
Nous sommes de plus décidé à lutter
pour la liberté syndicale qui est maintenant
séquestrée par le système des
comité d'entreprises, là où ils
existent, et par la répression et la peur dans
les entreprises où ils n'existent pas. C'est
ce que nous disons et ainsi nous avons de l'influence.
Q : quel est le rôle du comité d'IZAR dans
ce conflit ?
R. : le rôle du comité d'entreprise est
celui de la fédération de la métallurgie
d'Etat de CCOO qui est de refroidir la mobilisation,
du fait qu'ils ont de l'influence à IZAR, mais
que l'industrie auxiliaire leur échappe. Ils
ont peur qu'un conflit surgisse dans l'industrie auxiliaire,
déjà qu'ils manqueraient de représentativité et que celui-ci pourrait bien éclater. C'est
mon opinion.
Q. : quelle est la relation entre le comité d'entreprise
et la CNT du chantier naval ?
R. : en général c'est une relation de
respect mutuel. À certaines occasions, il y
a eu des affrontements très sérieux,
quand nous avons vu que ses membres freinaient la mobilisation.
Q. : quels sont les moyens sur lesquels compte la section
syndicale de la CNT, vu qu'elle n'est pas représentée
dans le comité d'entreprise et qu'elle ne se
présente pas aux élections syndicales
? Peut-elle négocier dans ces conditions ?
R. : nos moyens, c'est ceux de la section syndicale
elle-même, ceux de la CNT de Séville,
d'Andalousie et d'Espagne, avec la force que nous donnent
les travailleurs chaque fois qu'ils se mobilisent avec
nous et la solidarité d'un certain nombre de
personnes qui nous appuient. Pour avoir cela, nous
n'avons pas besoin de participer aux élections
syndicales. Les négociations ne dépendent
que du rapport de force. Sans avoir de représentation
légale, on nous prend en compte. Pour faire
de l'anarcho-syndicalisme, la seule chose nécessaire
c'est les militants. Je ne sais pas si ce que je dis
semblera très dogmatique, mais je le vois comme
quelque chose d'assez pratique. Où est arrivé le syndicalisme depuis vingt ans d'aumône, de
subventions et de système représentatif ?
Q. : ces dernières années, la CNT de Séville
a joué un rôle actif dans une série
de conflits plus ou moins importants, [l'entreprise
de nettoyages de la localité de] Tomares, le
chantier naval...
R. : je crois que le rôle que joue la CNT à Séville n'est pas plus important que celui de
dizaines de syndicats de la CNT qui participent courageusement
à des luttes, en ce moment, dans toute la péninsule.
Ce n'est pas spécifique à Séville.
Q. : est-il vrai que le chantier naval construit des
bateaux pour l'armée ?
R. : à Séville, nous ne travaillons à aucune sorte de projet militaire. Les chantiers navals
qui travaillent pour les militaires, il y en a à Cartagena et en Galice, que je sache. Personnellement
si cela se passait à Séville, je demanderais
mon compte. Travailler comme policier, comme militaire,
ou travailler à construire des bateaux pour
l'armée, je crois que c'est très semblable.
Je pense qu'il y a de meilleures façons de gagner sa vie.
Q. : avez-vous envisagé d'autogérer le
chantier naval ?
R. : non. Je crois que ce serait très compliqué en ce moment. Pour arriver à ce point, il faudrait
plus de rodage. On verra.
Q. : Quel type de mobilisations réalisez-vous ?
R. : il y a un calendrier de lutte que nous sommes en
train d'accomplir avec des arrêts de travail,
des manifestations, etc.
Q. : à quoi doit-on alors le climat d'affrontements
avec la police ?
R. : à quoi c'est dû ? À la police
elle-même et au délégué du gouvernement. Ils font l'impossible pour que le
conflit ne sorte pas du chantier naval, ainsi chaque
fois que nous essayons de manifester en ville, ils
nous agressent avec leur matériel.
Q. : les images de la presse et de la TV montrent des
travailleurs qui lancent des projectiles contre la police...
R. : je ne sais pas de quoi tu parles : qu'espèrent-ils
qu'on leur lance ? Des fleurs ? Tu auras remarqué qu'ils ne montrent pas ce que tire la police : des
balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes
de la dernière génération. Nous
sommes des douzaines de camarades à être
passés par le service de traumatologie de l'hôpital
de la Vierge du Rocio. Il y en a plusieurs qui risque
de garder des lésions irréversibles aux
yeux. La police arrive avec ses armures, ses masques,
ses boucliers, ses autos blindées, ses caméras
cachées, ses petits tanks, ses matraques électriques,
ses fusils... ils amènent de tout. Ensuite,
ils entrent dans l'usine et la ravagent, ils cassent
les clôtures, détruisent des machines,
cabossent des véhicules, cassent des vitres
; ils tirent avec des balles et créent une situation
de terreur. Si on leur donnait l'ordre de nous tuer,
ils le feraient. Personne ne peut dire que nous, les
travailleurs ayons agi de façon semblable. Les
seuls policiers qui ont eu des problèmes sont
deux qui ont été atteints pas des fusées
venant d'on ne sait où. Mais bon, ce sont des
choses qui arrivent. Ce qui doit rester clair, c'est
que nous les travailleurs exerçons nos droits
: le droit de grève, le droit de manifester
et de nous exprimer, le droit au travail, le droit
de nous syndiquer, le droit de vivre avec dignité.
Ceux qui veulent réduire ces droits par la violence
sont les représentants de l'État. Qui
défend ses droits n'est pas violent.
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