André Bösiger 1913 - 2005
André ne défilera pas ce premier mai
2005 à Genève, comme il l'a fait pendant
tant d'années, il est mort le 13 avril.
On a pu lire dans Le Courrier du 26 avril que André Bösiger représentait << le vénérable
ancêtre >> du mouvement anarchiste... genevois
? suisse? international ? Soyons sérieux: pour
qui l'a entendu évoquer, avec un copain de sa
génération, les << vieux >> anarchistes de Genève qu'ils avaient rejoints
alors qu'ils étaient de jeunes ouvriers, André n'a jamais été un << vénérable
>>, ni un ancêtre. Mais un copain qui a
eu la chance de vivre et de rester lucide longtemps
et aussi le mérite de garder la maison, lorsque
que d'autres l'avaient désertée.
André Bösiger a raconté, dans un
livre souvenir*, les principales étapes de son
engagement libertaire. Nous n'en évoquerons
ici que les éléments qui nous ont semblé les plus marquants.
Ayant quitté son Jura natal, il rejoint en 1929,
à l'âge de 16 ans, la Ligue d'Action du
Bâtiment. Bras anarcho-syndicaliste du syndicat
FOBB, la LAB pratiquait l'action directe sur les chantiers
pour faire respecter les conventions collectives, empêcher
les heures supplémentaires et le travail du
samedi. Elle luttait aussi contre les expulsions et
saisies dont étaient victimes les chômeurs
qui ne pouvaient payer leur loyer.
Athée, allergique à l'autorité,
c'est en toute logique que André Bösiger
rejoint, à la même époque, le groupe
anarchiste genevois. Si on en croit son témoignage,
ce groupe, qui réunissait entre 20 et 50 personnes
chaque semaine, était alors constitué d'une majorité de militants d'âge moyen,
parmi lesquels beaucoup d'ouvriers italiens ayant fui
le fascisme. Et sa principale activité était
<< la pratique syndicaliste, surtout dans le
bâtiment >>!
Lors du massacre perpétré par l'armée
suisse contre la manifestation antifasciste du 9 novembre
1932, André voit l'ami debout à ses côtés
s'effondrer d'une balle dans la tête. Mobilisé peu après, il refuse bien sûr de servir.
Son insoumission lui vaudra près de deux ans
de prison.
A sa sortie du pénitencier, au début de
l'année 1937, il veut s'engager au coté des anarchistes espagnols pour se battre contre l'armée
franquiste. Mais son ami Louis Bertoni - rédacteur
du Réveil anarchiste - l'en dissuade en lui
disant << Là-bas, il y a trois hommes
qui attendent qu'un autre tombe, pour ramasser son
fusil (...) ici tu es bien plus utile >>. André se chargera donc de faire transiter par la France des
armes pour la CNT et la FAI... Par la suite, il continuera
d'aider le mouvement libertaire espagnol, n'hésitant
pas, pour cela, à se rendre dans l'Espagne franquiste
à de nombreuses reprises.
André n'était pas un anarchiste dogmatique
et les choix de ses combats furent guidés par
le bon sens et le libre arbitre bien plus que par des
idées préconçues. Ainsi, il aida
la résistance française durant la seconde
guerre mondiale, puis la résistance algérienne,
faisant passer la frontière suisse à de nombreux indépendantistes algériens
et à des insoumis français. Il disait
souvent: j'ai lutté pour la libération
de la France de l'occupation nazie, il était
normal que j'aide les Algériens à se
libérer de l'occupation française. Toujours
très concret, il participera ensuite à la création de coopératives dans ce pays...
avant que celui-ci n'évolue vers un système
dictatorial. Sa curiosité et sa volonté de réaliser ses idées, ici et maintenant,
l'amèneront aussi à s'intéresser
à l'autogestion yougoslave... dont les réalisations
ne le convaincront pas.
Des déceptions, sa vie militante lui en a, sans doute, beaucoup
apportées. La plus grande désillusion étant
certainement la trahison de Lucien Tronchet, le militant le plus en vue
du mouvement libertaire genevois qui devait rejoindre le parti
socialiste à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais
André Bösiger était un optimiste aux engagements
multiples, un bon vivant et une force de la nature qui n'a jamais
baissé les bras. Fondateur et soutien indéfectible du
Centre International de Recherche sur l'Anarchisme, André
était aussi un pilier de la Libre Pensée... Et quand
notre groupe (Direct! AIT) a décidé de réaliser
son premier périodique L'Affranchi, c'est vers lui que nous nous
sommes tournés pour lui demander d'être notre
éditeur responsable. Il a accepté en nous faisant
entièrement confiance et en nous laissant toujours la
complète liberté du contenu du journal.
Personnalité profondément anti-autoritaire
(ce qui n'est pas le cas, et loin de là, de
tous ceux qui se revendiquent de l'anarchisme) André Bösiger a aussi constitué avec sa femme
Coucou (Ruth Bösiger décédée
en 1990) un couple de militants, ce qui n'était
pas fréquent dans sa génération
et n'est toujours pas très répandu d'ailleurs.
La classe ouvrière suisse a perdu un élément
de ce qu'elle a produit de meilleur, espérons
que le siècle qui débute verra naître
d'autres personnalités de cette trempe.
Ariane Miéville et José Garcia
* André Bösiger, Souvenirs d'un rebelle,
Canevas Éditeur, 1992 (et plusieurs rééditions).
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