Industrie carcérale aux USA
Aujourd'hui no 80 (16 mars 2001)
Arrêté en 1970, pour le meurtre
présumé de deux flics, Marshall << Eddie >> Conway, ancien dirigeant des Black Panthers
de Baltimore, fut condamné à perpétuité et incarcéré au pénitencier de
l'État du Maryland. Son inculpation, en l'absence
de preuves matérielles, semble avoir fait partie
de la campagne secrète de l'État américain
lancée à la fin des années 60
pour détruire les Panthères Noires. Depuis
30 ans, Eddie n'a cessé de se battre depuis
sa prison (1). Dans une interview récente (1999),
il réaffirme la nécessité d'une
<< résistance critique au complexe carcéro-industriel
américain >> : << La tendance aux
États-Unis est d'utiliser ce que j'appelle le
"complexe carcéro-industriel" comme
méthode de génocide contre tous les gens
de couleur. C'est donc une question critique que de
résister à l'expansion de ce système.
Il y a actuellement plus de deux millions de personnes
enfermées et des millions soumises à un contrôle judiciaire. C'est la même méthode
que celle utilisée en Allemagne dans les années
30. [...] Nous devons organiser à l'intérieur
et à l'extérieur un mouvement anti-complexe
carcéro-industriel pour enrayer sa croissance.
Le complexe carcéro-industriel ainsi que l'épidémie
de drogue sont les deux moyens utilisés pour
saper le développement de mouvements en faveur
du changement. >> Dans << Les nouvelles
méthodes de contrôle dans le complexe
carcéro-industriel américain >> (1998), dont nous donnons ici l'essentiel, Eddie analyse
le changement dans la méthode de contrôle
des prisonniers et du sens de ce complexe (2).
En
avril 1970, quand je suis entré en prison, il y avait, dans le
Maryland, sept grandes prisons et moins de 7000 prisonniers.
Aujourd'hui, il y a 34 grandes prisons et plus de 23 000 prisonniers
dans un État de quatre millions d'habitants. Depuis cette
époque, les prisons qui étaient des institutions simples
sont devenues des complexes qui ressemblent à des camps de
concentration. Alors que les Noirs des ghettos urbains
représentent 75 % de la population carcérale du Maryland,
plus de 80 % des prisons sont implantés dans des zones rurales
blanches. La plupart de ces complexes pénitentiaires sont
situés à plus de 150 km des grandes villes et donc des
familles et des organisations de soutien des détenus. Au cours
de la même période, la population carcérale
féminine a triplé dans l'État et l'extension des
prisons pour femmes se poursuit. La plupart des nouvelles prisons
construites depuis vingt ans l'ont été dans des zones
rurales frappées par la crise où la disparition des
emplois d'ouvriers a transformé les mentalités des
populations. Dans les années 70, aucune région du
Maryland ne voulait de prison à proximité. Mais quand les
usines ont commencé à déménager ou à
fermer, on a assisté à une concurrence féroce
entre les régions pour obtenir la construction de prisons. Les
prisons offraient en effet des emplois de gardiens aux ouvriers devenus
chômeurs. Aucun emploi ne fut jamais créé dans les
grandes villes, dont les chômeurs devinrent rapidement les
prisonniers qui remplirent les nouvelles prisons.
Au cours de cette période, on a aussi observé un changement de la méthode de contrôle
des prisonniers. En 1970, le principal outil de contrôle
de la population carcérale était la force
physique. Cette situation entraînait de nombreux
conflits entre détenus et gardiens. Aujourd'hui,
les principaux outils de contrôle sont les drogues
illicites (visibles et occultées) et les gadgets
électroniques comme les postes de télé,
radios, téléphones, micro-ondes et magnétoscopes.
Aujourd'hui, la plupart des conflits opposent les prisonniers
entre eux à propos de la drogue ou d'activités
liées à la drogue. L'efficacité de ces nouvelles méthodes apparaît clairement
dans la disparition des révoltes dans les prisons.
Entre le milieu des années 60 et le milieu des
années 70, il y a eu de nombreuses révoltes
dans les prisons du Maryland. Aujourd'hui, le gros
de la population est passif et il n'y a plus de soulèvements
importants.
Dans le même temps, la notion de base gouvernant
le système carcéral a également
changé. Dans les années 70, cette notion
était la réhabilitation. De nos jours,
la croissance du complexe carcéro-industriel
est guidée par la notion d'entrepôt. Les
intérêts bien compris des fournisseurs
de marchandises et des utilisateurs de produits des
industries d'État ont favorisé le développement
d'un véritable empire carcéral, qui est
désormais le deuxième employeur de l'État
du Maryland ! Non seulement le système ne cesse
de s'étendre mais les prisonniers sont détenus
de plus en plus longtemps. Les prisonniers sont eux-mêmes
devenus un produit lucratif, sans parler du fric gagné grâce au faible coût de leur travail.
Eddie Conway
1.- Le comité qui organise sa défense
peut être contacté à Justice for
Eddie Conway, POB 39202, Baltimore, Maryland 21202,
USA, ou sur Internet : http ://www.ecstruggle.corn
2.- Cet article et son introduction sont parus dans
Oiseau-Tempête no7, automne 2000. La traduction
et l'introduction sont de Gobelin.
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