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Le développement n'est pas durable

Aujourd'hui no 79 (23 février 2001)


Pierre Lehmann questionne la notion même de développement. Selon lui, ce débat fait singulièrement défaut, même chez ceux qui prétendent se battre contre le système économique actuel.

Le concept du développement a été analysé et critiqué de manière pertinente par plusieurs auteurs et groupes d'auteurs. Quelques références sont données ci-dessous (1, 2, 3, 4). Mais cette critique a été ignorée par le monde politique et économique qui a préféré fermer les yeux et faire comme si l'application têtue des recettes de croissance allait finalement faire le bonheur de tous. Comme on pouvait s'y attendre, cette attitude n'a fait qu'amplifier les difficultés et aujourd'hui on se retrouve avec un monde coupé en deux : Davos contre Porto Alègre. Le malheur est que la notion de développement n'a guère été remise en question ni d'un côté ni de l'autre. Ceux qui s'opposent à la globalisation/libéralisation ne remettent en général pas en question la notion de développement. Ils veulent surtout plus de justice dans la répartition des ressources, revendication tout-à- fait compréhensible vu l'invraisemblable différence de pouvoir d'achat entre riches et pauvres à laquelle l'évolution économique de ces dernières années a mené.

On a cru pouvoir sauver le concept de développement en exigeant qu'il soit "durable". Il semble que plus personne aujourd'hui n' emploie le mot développement sans lui accoller cet adjectif. Le développement durable est censé permettre aux générations actuelles de vivre bien sans compromettre les conditions de vie des générations futures. Qu'est ce qu'on veut de mieux ? Mais est-ce crédible ?

A mon avis non. Le développement, durable ou non, sous-entend une dynamique d'augmentation permanente. Dans la perspective économique cette augmentation est surtout celle des bénéfices, des dividendes pour les actionnaires, en bref celle de la possession d'argent et de biens. Le système économique actuel ne peut d'ailleurs pas se passer d'une croissance quantitative ne serait-ce qu'à cause de l'intérêt sur le capital. On peut bien sûr argumenter que le développement consiste à faire croître le bien-être des populations. Cela ne fait que déplacer la question car comment détermine-t-on ce bien-être ? Si c'est par la consommation et si le modèle de consommation est celui des nantis actuels. il ni y a tout simplement pas moyen dans notre monde fini de satisfaire tout le monde. Le développement mène fatalement à une société à deux vitesses. Les puissants de ce monde s'en rendent d'ailleurs parfaitement compte puisque certains d'entre eux ont imaginé de condamner la plus grande partie de l'humanité au "tittytainment", contraction des mots anglais tits (seins) et entertainment et qui désigne << un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète >> (5). On en vient à se demander avec le philosophe Hans Jonas si nous ne devons pas devenir des monstres inhumains pour sauver l'humanité de le disparition (6).
Dans un monde fini le développement n'est pas une proposition réaliste pour le long terme. Il mène nécessairement à des conflits car il fait de l'environnement une ressource. Dans un monde fini, les ressources finissent par s'épuiser. Il faudra donc bien un jour revenir à une société de subsistance (7). Il me paraît peu probable que cela puisse avoir lieu sans un effondrement de la civilisation économique.

Pierre Lehmann

1.- The Development Dictionary. Zed Books, London, 1992
2.- Gilbert Rist. Le développement, histoire d'une croyance occidentale.
3.- Gilbert Rist. Fabrizio Sabelli. Il était une fois le développement.
4.- Michel Beaud. Le basculement du monde
5.- Jean Claude Michéa. L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes.
6.- Carl Amery. Hitler als Vorlâufer.
7.- Ivan Illich. Dans le miroir du passé.
On peut aussi recommander la lecture du dernier livre de Pierre Thuillier, La grande implosion.

http://direct.perso.ch/auj07902.html