Combustion spontanée
Aujourd'hui no 78 (9 février 2001)
Le squat du Goulet, à Chêne-Bourg,
est un enjeu immobilier et routier important. Dans
la nuit du 11 au 12 janvier, c'est au coktail Molotov
que des malintentionnés l'ont attaqué.
Tracasseries policières, refus d'enregistrer
les plaintes et autres brimades, campagne de presse
à la limite de la diffamation : le décor,
plutôt malsain, est planté. Entretien
avec un occupant.
Est ce que tu peux nous raconter l'histoire du Goulet ?
Certains
bâtiments ont été construits à la fin du
XVIIIe siècle. Il y a une trentaine d'années les
habitants ont quitté le Goulet et les commerces situés
dans les arcades ont fermé. Ca a été muré
et laissé à l'abandon avec une volonté
évidente de laisser se dégrader les immeubles. Il y a 9
ans, les premiers occupants sont arrivés et ont investi le
Goulet 25, qui se trouve être l'immeuble de la poste, pour y
faire une salle de spectacle parce qu'il y avait très peu de
structures pour les jeunes. Quand on est arrivé là, tout
était pété, les toits éventrés, il
n'y avait plus un câble, plus une prise, plus un interrupteur.
Les propriétaires ont délibérément
cassé pour éviter que des gens viennent s'installer dans
les immeubles. Moi, j'ai investi à peu près dix mille
balles pour remettre la maison en état. Tout a été
reconstruit de A à Z. D'ailleurs, il y a un truc
intéressant, c'est qu'avant il y avait un petit escalier dans la
cour, un escalier typique de l'architecture sarde de l'époque
qui avait été recensé pour être
classé comme patrimoine historique. Et puis quand on s'est
installé ici, une nuit, des gars sont venus détruire
l'escalier à coup de pied-de-biche et de hache. Au recensement
architectural, les mecs, ils ne comprenaient pas parce qu'ils venaient
de recenser l'escalier comme étant en parfait état. Pour
eux le Goulet c'était fantastique, des maisons dignes
d'intérêt mais dégradées par une commune qui
privilégie les intérêts financiers. Bon,
aujourd'hui, à peu près 80 personnes occupent les
différentes maisons qui ont des statuts différents. Une
partie du Goulet est squattée et il y a encore des immeubles qui
sont loués. Mais le flou règne au sujet des baux et du
statut des locataires.
Quel est le projet de la commune ?
Ils ont décidé de raser l'ensemble du
Goulet à l'exception du 25 afin de construire
un grand complexe commercial et d'habitations en verre.
Les logements seraient des HBM gérés
par la fondation Vernier Aviation et puis l'immeuble
du 25 serait rénové pour devenir un immeuble
associatif géré par la CODHA. Mais l'enjeu
qui se cache derrière tout ca, c'est bien l'élargissement
de la route qui vient de Thônex, c'est-à-dire
deux voies de trams en site propre et puis les voies
de bagnoles. Pour réaliser ces travaux, il devrait
y avoir une étude d'impact, mesurer la route,
la pollution atmosphérique, les nuisances sonores
et estimer les conséquences de l'élargissement.
Or ils n'ont fait qu'une sorte d'étude préliminaire
qui n'a pas valeur d'étude d'impact.
Qu'en pensent les habitants du quartier ?
Le projet n'est pas tellement vanté auprès
de la population. La commune joue plutôt le jeu
de "Vous savez, ce sont des squatters, ils ne
payent pas de loyer, pas d'électricité.
Est ce que vous avez envie de ça dans votre
quartier ?" Alors les gens, ils disent "Non,
non !" "Alors vous avez envie d'un autre
projet ?" "Ouais, ouais, pas de problèmes
!"
Vous avez fait recours au tribunal fédéral.
Est ce que vous êtes expulsables durant cette
procédure ?
En principe, le recours au tribunal fédéral
n'a pas d'effets suspensifs. La procédure pourrait
continuer d'avancer, ils pourraient très bien
venir, nous évacuer, démolir et élargir
la route. Mais s'ils commencent les travaux, comment
ils vont se justifier après s'ils se rendent
compte qu'il y a trop de pollution, trop de bruit ?
Moi, je suis convaincu que si aujourd'hui on dit "Ok,
on retire notre recours et on déménage" et que tout l'îlot est vide, je te garantis que
le projet ne se fera pas. Ils vont démolir,
en tout cas un coin de l'immeuble, mais la route, ils
vont l'élargir vite fait. Et le reste des immeubles
vont être murés, dégradés,
pour être sûr que des gens ne reviennent
pas derrière.
Le Goulet a été victime de plusieurs incendies
criminels et puis en janvier on s'est fait allumer
à coups de cocktail Molotov trois fois en moins
d'une heure. On aimerait faire réagir les gens
parce qu'il y a aucun moyen pour nous que la police
fasse son boulot, qu'elle entame une enquête.
Vous avez des idées sur les motifs et/ou les
auteurs de ces faits ?
Quand on entend le discours du maire vis à vis
du Goulet *, je pense qu'il y a de quoi attiser la
haine. En tout cas il n'a pas un discours qui tend
à calmer le jeu. Maintenant, ce qui est intéressant
à constater, c'est qu'à chaque fois qu'on
dépose un recours, nous sommes sujets à la combustion spontanée.
Comment cela s'est-il passé ?
Ce sont les accès aux maisons qui ont été visés. Le premier incendie a eu lieu vers 3
h 00 du matin dans la cage d'escalier. L'incendie maîtrisé,
on appelle le 117 pour qu'ils viennent constater les
faits, il y avait les débris de verre de 2 ou
3 cocktails Molotov, ça puait l'essence, il
y avait des petits chiffons par terre. Une patrouille
arrive et dit "C'est normal, vous n'avez pas que
des amis !" Un flic a évoqué des
soi-disant jeunes qu'il aurait vus traîner :
" C'est des squatters et c'est sûrement
eux qui ont foutu le feu." Pas tout a fait logique
que des gens mettent le feu chez eux avant d'appeler
la police ! Soudain, des cris viennent de l'autre côté.
Alors je cours avec l'extincteur et le flic qui me
suit tranquillement. On éteint le feu devant
l'entrée du 6-8 en sa présence. Il nous
dit qu'il n'y a rien à faire alors qu'à ce moment, il aurait dû faire venir la brigade
criminelle pour récolter des indices, notamment
un cocktail Molotov encore intact. Moins d'une heure
plus tard, l'allée du 6-8 a été aspergée d'essence et allumée au cocktail
Molotov. On éteint comme on peut. Les pompiers
arrivent avec le même flic pour constater ce
troisième incendie. Ayant vidé nos extincteurs,
je demande au pompier de nous en laisser quelques-uns
pour terminer la nuit. Il refuse en nous rappelant
les relations difficiles que nous avons avec la commune
et qu'il ne pourrait pas se justifier. Il nous a quand
même prêté une pompe à eau.
Ensuite on a décidé d'aller porter plainte
au poste de Chêne-Bourg. Les flics nous répondent
"Quel incendie, de quoi vous parlez ?". Je
leur dis que j'ai téléphoné deux
fois au 117, qu'une patrouille s'est déplacée
donc deux fois avec le service incendie. Le flic vérifie
et reconnaît que j'ai appelé. Par contre,
il n'est noté nulle part qu'il y a eu un incendie
au Goulet, ni dans un rapport, ni même dans la
main courante. Aucune trace. Impossible de porter plainte,
les flics font le blocus.
Comment la police se justifie-t-elle ?
Ils disent "Ecoutez, vous êtes squatters,
vous n'avez pas de droit. Si quelqu'un doit porter
plainte, c'est l'Etat de Genève en tant que
propriétaire." Ils nous répondent
que l'on doit s'adresser a la brigade des squats. Je
précise que deux incendies se sont produits
dans l'immeuble qui n'est pas squatté. Mais
il faut quand même s'adresser à la brigade
des squats, qui elle nous répond que ce n'est
pas son boulot et qu'il faut s'adresser au poste de
Chêne-Bourg qui, finalement, dit qu'on peut porter
plainte chez eux. On y va, mais nous essuyons un nouveau
refus. Ils ont finalement décidé de prendre
nos noms et de transmettre cette liste à la
brigade des squats pour le dépôt de la
plainte. Nous avons ensuite téléphoné,
la liste leur était bien parvenue, mais il n'y
avait qu'un nom dessus alors qu'on était une
dizaine à l'avoir remplie. Bref, ils viennent
finalement nous voir et puis je leur donne le matériel
que j'ai pu récolter sur place (cocktail Molotov,
etc.). Par l'intermédiaire de notre avocat,
nous allons déposer une plainte devant le procureur.
Propos recueillis par G. J. et G. A.
*<< l'occupation du goulet se fait dans une totale
illégalité >> (Clin d'oeil radical, oct. 2000) ;
<< [On] est révolté qu'une seule
personne de la commune puisse, grâce à nos lois mal faites, recourir jusqu'au tribunal fédéral
>> (Tribune de Genève du 23.12.00) ;
<< nous avons à faire à des gens
qui ne respectent rien. Ils s'abritent derrière
un arsenal de lois mises complaisamment à leur
disposition. Nous sommes des ânes ! >> (Tribune de Genève du 02.03.00) ;
<< on est pour la démolition mais pas par
le feu. S'il y a des excités, c'est parce que
les squatters exaspèrent la population par leur
attitude >> (Tribune de Genève du 12.04.00).
Ces citations sont extraites du communiqué de
presse de l'AH3C (Association des habitants des Trois-Chênes)
du 26 janvier 2001.
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