Cinq mythes sur la Tchétchénie
Aujourd'hui no 76 (12 janvier 2001)
En Russie, la machine de propagande officielle tourne
à plein rendement à propos de la Tchétchénie.
Son but est le nettoyage massif des cerveaux. Pour
cela on utilise des mythes datant de l'époque
du tsarisme et du stalinisme. Ce texte s'efforce de
comparer les mythes les plus répandus avec les
faits et la simple logique.
La Tchétchénie fait intégralement
partie de la Russie.
La
conquête de la Tchétchénie par l'Empire russe a
commencé au XVIIIe siècle et s'est achevée au
milieu du XIXe. Le but du tsarisme était << la soumission
des montagnards et l'élimination des insoumis >> (Tsar
Nicolas Ier). Au cours de cette conquête, les
Tchétchènes ont été chassés des
terres fertiles, leurs villages ont été démolis.
Ils ont fui dans les montagnes ou se sont exilés en Turquie.
Pendant presque 80 ans (1780-1859) les montagnards ont mené une
lutte armée contre les colonisateurs. Son apogée fut la
Guerre du Caucase (1817-1859), la plus longue coloniale de l'histoire.
Pour réduire ces montagnards, il a fallu aux Russes des troupes
plus nombreuses que lors de la guerre contre Napoléon.
Malgré cela, la population tchétchène a
persisté dans son refus d'intégrer l'Empire russe. Des
soldats russes qui ne voulaient pas participer à cette aventure
ont déserté et se sont évadés en
Tchétchénie (qui à la différence de la
Russie tsariste était alors libre du servage). A
l'époque, les forces démocratiques et
révolutionnaires du monde approuvaient la résistance
tchétchène et la considérait comme partie
intégrante de la lutte mondiale pour la liberté. Mais les
forces en présence étaient trop inégales.
Après plusieurs décennies de lutte armée
sanglante, le tsarisme a vaincu la résistance des peuples du
Caucase et les a inclus de force dans l'Empire russe.
Les Tchétchènes constituent une nation
de bandits ; le brigandage, la prise d'otage sont des
traits caractéristiques de leur ethnie.
L'historiographie russe du XIXe siècle a reconnu
que dans un premier temps ce sont les Kazakhs russes
habitant le long de la rivière Terek et non
les Tchétchènes qui furent les plus actifs
dans le brigandage au Caucase. En ce qui concerne la
prise et le meurtre des otages, le record historique
n'appartient pas aux Tchétchènes. Les
chefs militaires russes, notamment le général
<< héroïque >> Ermolov, ont
abondamment pratiqué le système de la
prise massive d'otages au Caucase. On prenait un grand
nombre d'otages et on les pendait juste après
la révélation de quelque << trahison
>>...
Si
on veut parler de l'explosion de la criminalité et des rapts en
Tchétchénie à l'heure actuelle, il faudrait se
poser une question : qu'est-ce qui se passerait en Russie même,
si les villes et les villages étaient en ruine et
l'économie éliminée comme en
Tchétchénie ? L'indignation contre le << terrorisme
et le banditisme tchétchène >> du côté
de la propagande officielle, des autorités et des militaires est
le comble du cynisme. Ceux qui réalisent et justifient le
terrorisme d'Etat, ceux qui sont responsables des meurtres, des
tortures, des viols en masse, des oreilles coupées... n'ont
aucun droit de se porter garants de la <<
légitimité >>.
Pendant la deuxième guerre mondiale, les Tchétchènes
ont collaboré en masse avec les occupants nazis,
c'est pourquoi ils ont été déportés.
En réalité les troupes allemandes n'ont
occupé qu'un petit morceau du territoire de
l'Ingouchie, la Tchétchénie ne fut point
occupée. C'est pourquoi la << collaboration
en masse >> des Tchétchènes avec
les occupants n'a pas pu exister du fait même
de l'absence de ces derniers. Ce qui a existé en fait, c'est la lutte armée des Tchétchènes
contre la domination impériale de Staline, lutte
à laquelle le pouvoir a répondu par le
génocide sous forme de déportation.
L'insurrection
des Tchétchènes a commencé durant l'hiver 1940,
c'est-à-dire quand Hitler et Staline étaient encore
alliés. Cette insurrection était la conséquence
légitime de la politique coloniale stalinienne au Caucase. Voici
quelques éléments de cette histoire. Pendant la Guerre
civile en Russie, la majorité de la population de
Tchétchénie-Ingouchie a approuvé la
Révolution. Après la victoire des Rouges, la
Tchétchénie a reçu une autonomie. La
première moitié des années vingt semble être
la période la plus paisible et bienfaisante de l'histoire
tchétchène. Mais en 1925, des << marionnettes
>> aux ordres de Moscou ont succédé aux anciens
dirigeants de la Tchétchénie. Le NKVD a commencé
des opérations à grande échelle contre les
éléments considérés comme déloyaux.
En 1929-1932, la collectivisation forcée a provoqué les
rébellions en Tchétchénie. Celles-ci furent
réprimées de manière féroce. Puis a suivi
la terreur de la fin des années trente... Cependant, les
traditions de lutte de libération ont persisté parmi les
Tchétchènes. A cette époque, les insurgés
ne combattaient pas avec des mots d'ordre islamiques.
L'idéologie du mouvement dirigé par des intellectuels
(l'écrivain K. Israilov, l'homme de loi M. Cheripov, etc.)
était celle de la lutte pour la libération nationale.
Dans plusieurs districts de montagne, les insurgés ont
renversé les satrapes staliniens et proclamé la formation
d'un << gouvernement populaire révolutionnaire provisoire
de la Tchétchénie-Ingouchie >>. En 1942,
après des bombardements massifs, les troupes du NKVD ont
réussi à vaincre la résistance des
Tchétchènes. En 1944, ces derniers, comme les autres
peuples insoumis, furent déportés. Pendant cette
déportation, plus de 130'000 personnes ont péri, dont
plus de 72'000 Tchétchènes et Ingouches.
L'opération actuelle des troupes russes en Tchétchénie
est une réponse à l'invasion des Tchétchènes
au Daghestan et aux attentats (explosions d'immeubles)
en Russie organisés par eux.
Les préparatifs à la campagne militaire
contre la Tchétchénie ont commencé plusieurs mois avant les événements au
Daghestan. Le raid de Bassaev a simplement servi de
prétexte à la guerre. [De toute manière]
la thèse de << la réponse adéquate
à l'agression de la Russie >> reste très
douteuse. Quand les détachements russes ont
combattu en Abkhazie pour la séparer de la Georgie
(à propos, aux cotés du même Bassaev),
personne ne pensait qu'en qualité de << réponse adéquate >> la Georgie
aurait dû déclarer la guerre au Kremlin
et bombarder Moscou. De même, la participation
de mercenaires russes aux combats en Bosnie et en Kosove,
à côté de Milosevic, n'a pas entraîné le << nettoyage >> du territoire russe
par les détachements bosniaques ou albanais.
Quant à l'explosion des immeubles, il n'existe
pas de preuves ou de témoignages qui confirment
la responsabilité des structures tchétchènes...
Si on donne la Tchétchénie aux Tchétchènes,
la Russie se dissoudra.
Si
un peuple est retenu dans un Etat au moyen de la force, cet Etat est un
empire qui est condamné à se dissoudre. Tous les <<
grands >> empires qui ont existé dans l'histoire ont fini
par se dissoudre, même si leurs dirigeants ont fait couler des
torrents de sang. C'est donc une rétention forcée de la
Tchétchénie qui mène directement à une
dissolution garantie de la Russie. La vraie unité de la
Fédération de Russie ne peut se fonder que sur les
aspirations de ses peuples à vivre ensemble.
Alexei Goussev
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