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« Nous irons jusqu'au bout… Boum Boum… »*

Aujourd'hui no 71 (22 octobre 2000)


Au début de l'été, les travailleurs de l'usine Cellatex située à Givet, à l'extrême Nord de la France, ont trouvé la bonne manière de se faire entendre. Nous revenons sur cette lutte avec cet article tiré d'un texte plus long publié dans le numéro 94 d'Échanges : Bulletin du réseau Échanges et mouvement (1).

Givet, dans les Ardennes, (8000 habitants) était, il y a cinquante ans, "prospère". Les restructurations dans la métallurgie et les délocalisations dans le textile ont ravagé cet ancien tissu économique et social : 22 % de la population active est au chômage. Pendant prés d'un siècle, Cellatex fut une des plus importantes usines de la ville, et des familles y ont travaillé pendant quatre générations. L'entreprise qui employait au début des années cinquante plus de 700 travailleurs n'en comptait plus que 153 en juillet dernier.

Depuis 1991, date de sa vente par Rhône Poulenc, l'usine est passée de repreneurs en repreneurs. Aucun n'a fait les investissements nécessaires à sa modernisation. Le dernier propriétaire, une firme autrichienne, ne l'aurait acquise que pour entrer en possession des brevets de fabrication et mettre l'usine en faillite ensuite. Pourtant, au cours de cette période les travailleurs n'ont cessé de consentir des sacrifices, au nom de la survie de la boite : blocage des salaires, suppression des primes, travail du samedi et des jours fériés, etc. A quoi s'ajoutaient des conditions de travail très pénibles responsables de maladies et d'allergies diverses dues aux vapeurs nocives.

Après des années d'incertitude, dont les quinze derniers mois sur le qui-vive dans l'attente d'un éventuel repreneur, le 5 juillet, la faillite est déclarée ce qui signifie la cessation immédiate de l'activité, la liquidation du matériel et le licenciement des travailleurs. Ceux-ci constatent : « nous avons été jetés comme des déchets » ; « ils se foutent de nous » ; « je ne serais ni chômeur, ni érémiste. Je préfère sauter avec l'usine… ».

Les ouvriers de Cellatex savaient qu'ils avaient entre les mains une arme puissante : les matières premières toxiques et/ou dangereuses nécessaires à la production de viscose. A partir du 5 juillet, ils occupent l'usine, la plupart des travailleurs sont impliqués dans l'occupation de l'usine de jour comme de nuit. Jusqu'au 20 juillet, ils vont menacer d'utiliser les produits chimiques pour faire sauter l'usine si on ne discute de leurs revendications, soit pour une reprise de l'usine, soit pour de l'argent et des garanties de reclassement beaucoup plus importantes que ce qui est accordé par la loi. Chaque jour, l'assemblée générale désigne une équipe spéciale qui prend en charge la "sécurité" dans l'usine pour éviter quelque action individuelle de désespoir et pour former les piquets de grèves. Devant cette détermination les autorités vont aller jusqu'à évacuer la zone à proximité immédiate de l'usine le 10 juillet. A ce sujet, il est intéressant de noter que les habitants déplacés manifestent une solidarité certaine avec les grévistes qui, pourtant, menacent de faire sauter le quartier. Le 17 juillet Les négociations n'aboutissant pas, les travailleurs déversent 5000 litres d'acide colorée en rouge dans un ruisseau. Cet épisode hautement médiatisé va donner lieu aux commentaires d'une ministre, donnant dans l'écologie, qui accusera les grévistes « d'écoterrorisme » ! Magnifique cynisme lorsque l'on connaît l'excellente place qu'occupait l'entreprise Cellatex au hit-parade des pollueurs : première pour le zinc, deuxième pour les hydrocarbures et vingt-huitième pour certains produits cancérigènes ! D'ailleurs, la quantité d'acide déversée par les ouvriers correspond à celle rejetée hebdomadairement dans la Meuse par l'entreprise.

Finalement, le 20 juillet, les salariés se prononcent à l'unanimité en faveur d'un accord dont un des salariés dira qu'il n'avait jamais espéré obtenir autant : une indemnité spéciale de 80 000 francs (on leur en proposait 36 000), un versement en plus des allocations chômage assurant un maintien du salaire pendant deux ans, des mesures spéciales de reconversion.

La lutte de Cellatex n'est pas un cas isolé et au cours de ce même été 2000, plusieurs mouvements de même nature vont apparaître en France. Les travailleurs de Forgeval à Valenciennes occupent l'usine métallurgique et menacent de mettre le feu. Ceux de la Brasserie Adelshoffen en Alsace menacent de la faire sauter tout comme les ouvrières d'un sous-traitant de Citroën à Nogent-sur-Seine (2).

Sans tirer des conclusions définitives, on peut toutefois voir que ces luttes ont en commun le refus des travailleurs d'être plus longtemps les victimes de la logique de la rentabilité capitaliste, d'accepter que leur sort dépende de "conditions objectives" sur lesquelles ils n'ont aucun pouvoir et que, souvent, ils ignorent même totalement.

Ensuite, on constate qu'au cours de ces luttes, les médiations classiques (politiques, syndicales, etc.) n'ont pas ou mal fonctionnées comme l'a soulevé le président du Medef (le syndicat patronal français) qui déplorait « la déficience de dialogue social ». Dans sa bouche, cela veut dire que le dialogue social n'est pas directement pour les travailleurs mais pour les syndicats. A Givet, ces derniers vont être à la traîne des initiatives des travailleurs et vont tenter de calmer le jeu en regrettant qu'il leur soit « difficile de contrôler les troupes », selon les propres termes du leader national de la CGT. Le ministre du travail leur sera reconnaissant de leur tentative d'encadrer la lutte et tiendra à souligner « combien les syndicats agirent en responsables ». Rôle reconnu aussi par un des travailleurs de Cellatex, ex-délégué du syndicat CFTC : « les leaders syndicaux sont des politiciens entièrement soumis à leur parti politique. On ne peut leur faire confiance… ll y a un tel fossé entre les ouvriers qui luttent pour leur gagne-pain et les dirigeants syndicaux qui "négocient" encore tout seuls ».

Enfin, si les méthodes de lutte de Cellatex ont rencontré un grand écho au sein de la population, ce n'est pas par hasard. D'une certaine façon, même s'il ne passe pas aux actes, la même chose est passée, à un moment ou un autre, dans la tête de tout travailleur.

* Texte d'une banderole des grévistes de Cellatex.

1. BP 241, 75866 Paris CEDEX 18, France.
2. Ces luttes sont présentées dans le n° 94 d'Échanges, avec, notamment, des informations très intéressantes sur les contextes différents dans lesquels elles ont eu lieu.

http://direct.perso.ch/auj07102.html