A propos du véganisme
Aujourd'hui no 52 (12 novembre 1999)
Suite à la journée du 31 octobre, journée
mondiale du véganisme, nous avons rencontré Christina,
membre d'ARA, groupe qui s'oppose à l'exploitation
animale.
Tu fais partie d'une association qui s'appelle ARA, Action pour le
respect des animaux. Peux-tu nous en parler ?
Oui, l'ARA est un groupe informel qui s'occupe de manifestations,
de distribution de tracts, de diverses actions. La plupart des
sympathisants de ce groupe ont le mode de vie "vegan", qui refuse
l'exploitation d'animaux pour la nourriture, l'habillement, les
accessoires, les loisirs (corrida, cirque), et qui se bat contre
l'expérimentation animale. Les deux parties importantes de
notre action, ce sont la lutte contre la vivisection et contre la
production industrielle de viande.
Pourquoi adoptez-vous ce mode de vie ?
Premièrement dans le but de respecter les animaux. Il faut
dire qu'on n'a pas besoin des animaux pour se nourrir, pour fabriquer
des cosmétiques : on peut se débrouiller autrement.
C'est vraiment une agression, une violence contre des êtres
vivants, qui souffrent. Il n'y a pas de raison de le faire. Ce qu'on
aime bien, dans cette démarche vegan, c'est que ça
étend la lutte contre toutes les discriminations et
exploitations aux animaux. On est contre le racisme, contre le
sexisme. Cela fait un tout. Pourquoi s'arrêterait-on seulement
aux humains ?
Selon vous, il y a des rapports entre la production industrielle
de viande, la surexploitation des sols et la pauvreté dans le
monde.
La consommation de viande entraîne un immense gaspillage de
ressources naturelles. Pour fabriquer un kilo de viande, il faut 16
kg de céréales. Il y a donc une perte énorme. Et
en conséquence, il faut cultiver plus de terres, utiliser plus
de pesticides. Ce qui fait bien fonctionner les firmes
agrochimiques.
16 kg de céréales pour 1 kg de viande, c'est un
chiffre choc. Possèdes-tu d'autres données ?
La consommation d'eau est très importante On estime que la
moitié de l'eau utilisée l'est pour la production de
viande. 10 porcs produisent 21 tonnes de lisier par an, et une vache
23 tonnes, ce qui représente 63 kg par jour. Quant aux terres,
64 % en moyenne mondiale sont affectées à l'industrie
de la viande. De plus, les élevages produisent 18 % du
méthane, qui est le second gaz responsable de l'effet de
serre. Dans le monde, on élève 1,3 milliards de bovins.
Certains pays pauvres, le Brésil, par exemple, exportent du
soja pour la nourriture du bétail alors que la population
souffre de malnutrition. En outre, il faut préciser que les
cultures de céréales à l'attention du
bétail sont de très mauvaise qualité et
entraînent l'utilisation de beaucoup de pesticides, d'engrais,
etc. Ce ne sont pas les vaches qui vont se plaindre de la teneur en
pesticides de leur nourriture et réclamer du "bio" !
Pourtant, il s'agit maintenant d'un argument commercial. On trouve
de la viande bio, produite de manière "éthique", par
exemple en stabulation adaptée à l'espèce ?
Justement, nous, nous ne sommes pas tellement en cheville avec ces
mouvements qui réclament du bio. On ne peut pas nourrir toute
la planète avec de la viande bio. Donc, en fait, c'est
élitaire. Ce serait réservé à une
minorité, et les autres, que mangent-ils ? On s'en fiche…
Nous sommes contre le fait, même dans l'alimentation
végétale, que certains aient accès à une
nourriture de meilleure qualité que d'autres.
La répartition des ressources alimentaires vous
préoccupent. Que préconisez-vous comme actions ?
Le problème est politique. Nous le disons dans nos
brochures, on produit de la nourriture pour le bétail alors
que 40 000 enfants meurent de faim quotidiennement. On pourrait
nourrir tout le monde avec de la nourriture végétale.
Ce qui nous fait très peur, c'est l'extension
planétaire de la surconsommation de viande à tous les
pays du monde, en Chine, par exemple, car cela risque de bousiller
toute la production végétale actuelle. Il faut dire que
la majorité de la production transgénique est
destinée au bétail. Donc, des Novartis, par exemple
sont très contents de la production de viande. De plus, cela
leur permet de fourguer leurs antibiotiques. En effet, la
moitié de la production mondiale d'antibiotiques est
destinée aux usines d'animaux. Il faut donc arrêter avec
la production de viande et de plantes transgéniques pour que
nous ayons des aliments de qualité. Sinon, notre action se
situe surtout au niveau local, en essayant de sensibiliser les
gens.
Mais ne peut-on pas aussi être végétalien ou
végétarien pour des raisons tout à fait
personnelles, de bien-être et de confort, en excluant tout
l'aspect militant dont tu viens de parler.
Effectivement, cela peut exclure tout souci au sujet de
l'exploitation. Cela n'est pas notre démarche. Il y a des
végétariens un peu new-age qui le font pour le
développement personnel, mais je trouve qu'ils sont un peu
à côté de la plaque. Le développement
personnel, c'est bien joli, mais il faut regarder ce qui se passe
autour.
L'expérimentation animale est souvent
présentée comme un impératif pour sauver des
vies humaines. Que réponds-tu à cela ?
L'expérimentation animale, ça arrange beaucoup les
firmes pharmaco-chimiques. Mais ce n'est pas scientifique, comme
méthode. Les animaux ne réagissent pas forcément
comme les humains. La pénicilline, par exemple, tue un cochon
d'Inde, alors qu'elle sauve des vies humaines. Les entreprises de
chimie utilisent des protocoles d'expérimentation pas
très scientifiques, ce qui leur permet de proposer sur le
marché un maximum de médicaments en assurant de
l'innocuité de leur produit, alors que cela n'est pas
prouvé du tout. Par ailleurs, alors que de nombreuses maladies
sont dues à la pollution, rien n'est réellement fait
pour lutter contre. Les groupes chimiques, ça les arrange, car
ils contribuent à dégrader notre santé, et ils
peuvent ensuite nous refiler leurs pilules, qui marchent plus ou
moins.
Nous remettons aussi en cause le discours sur la suprématie
de la race humaine sur les autres espèces.
Vous vous opposez aux scientifiques lorsqu'ils prétendent
posséder LA manière rationnelle de faire et de penser
?
On nous fait passer pour des hurluberlus, pour des «
antiscience ». Malgré tout, de plus en plus de
médecins disent que l'expérimentation animale n'est pas
scientifique, peu fiable, et sert juste d'alibi, qu'on peut obtenir
des résultats par d'autres moyens. Mais il y a un lobby
très puissant qui trouve intérêt à cette
manière de faire. Dans toute l'exploitation de l'animal, que
ce soit la production de viande ou la vivisection, il y a beaucoup
d'intermédiaires : le vendeur d'animaux, le fabriquant de
matériel de contention, etc. Pensons aux entreprises qui
« fabriquent » des animaux de laboratoire, par exemple des
chiens sans cordes vocales pour qu'ils ne crient pas. De plus, les
scientifiques ont vraiment intérêt à
maîtriser le génome humain, dans le but de faire des
modifications de type eugénique. Il faut aussi voir que
l'argument du sauvetage de vies humaines sert souvent à
récolter des fonds afin de faire de la recherche fondamentale
dans des buts très différents, comme par exemple la
maîtrise du génome humain.
Comment se battre contre ces lobbys qui possèdent des
moyens gigantesques et qui auto-légitiment leur discours ?
On n'arrive pas à faire passer nos arguments. La seule
chose qui a un petit peu marché, dans la lutte contre
l'expérimentation animale, c'était les actions du Front
de Libération des Animaux. C'était la seule chose
à faire, casser les portes des labos et aller libérer
les animaux, montrer dans quel état ils étaient.
Là, il y a quand même des gens qui ont commencé
à se poser des questions. Ça a un petit peu fait
évoluer le mouvement. Maintenant, à Genève, il
n'y a plus d'expérimentation sur des singes, des chiens et des
chats, seulement sur des souris. Alors les milieux de protection des
animaux se déclarent contents. Les souris, ils s'en foutent.
Pour défendre ces animaux-là, c'est vraiment difficile.
On essaie de reprendre l'argument comme quoi ce n'est ni
scientifique, ni fiable, mais face à l'avis d'une blouse
blanche, eh bien, c'est la blouse blanche qui l'emporte. En fait,
même dans ces actions de libération, parfois la presse
s'est retournée contre nous, comme dans le cas de la
libération, l'été dernier, de visons en
Angleterre où les journaux ont titré Catastrophe
écologique !
Vous préconisez un mode de vie, mais avez-vous pensé
à une lutte plus globale ?
Pour moi, ça s'inscrit dans un cadre plus large qui est
celui de la lutte contre l'exploitation et contre le capitalisme. On
s'attaque à ceux qui font du profit.
Interview réalisée par Aujourd'hui
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