Abstention jeu de c... ?
Aujourd'hui no 52 (12 novembre 1999)
Après lecture de notre article Osons l'abstention ! paru
dans Aujourd'hui n° 49, nous avons reçu la lettre
suivante. L'auteure de l'article en question répond à
notre correspondant.
« Dans votre article "Osons l'abstention" (Aujourd'hui
n° 49), vous vantez "l'abstentionnisme libertaire", vous dites
qu'il n'est pas synonyme de refus du principe de vote ou de
l'élection de délégués… Vous niez le
fait de faire le jeu de la droite et reniez la valeur de toute forme
de participation au système électoral.
Il n'en est pas moins vrai que vous êtes de toute
manière récupérés par les politiciens de
droite ou de gauche, c'est selon. Régulièrement,
à la suite de votations ou d'élections, les
médias qui sont à la solde de tous les partis (et non
de toutes les parties) vous le savez certainement aussi bien que moi,
nous assènent des chiffres concernant le taux de participation
peu élevé de la population.
Contrairement à ce que vous soutenez, ou du moins
suggérez, ce faible taux n'est jamais imputé à
une réaction révolutionnaire, mais à un simple
manque d'intérêt ou une satisfaction béate de la
situation actuelle.
Je ne sais si vous êtes au courant d'une alternative qui est
à votre disposition et dont vous ne faites aucunement mention.
Celle de glisser dans l'urne un bulletin blanc, marquant du
même coup votre intérêt et votre
désaprobation par rapport à ce qui vous est soumis.
Evitant en même temps de donner la possibilité à
des abrutis de prétendre qu'ils sont élus avec 60 % de
voix (même si le taux de participation au scrutin n'atteint pas
35 %).
Voilà pourquoi au côtés des slogans
libertaires dont vous faites mention et autres "Election,
pièges à cons !" je me permets de rajouter "Abstention,
jeu des cons !"
En vous remerciant d'avoir pris la peine de me lire jusqu'ici, je
vous prie d'agréer, Monsieur ou Madame, mes salutations
distinguées. »
Nom connu de la rédaction
Ce que nous aimerions tout d'abord répondre à ce
lecteur, c'est que le jeu de c… qu'il critique -
l'abstention - est tout de même la pratique majoritaire
des citoyens de ce pays. Donc, pour être poli, il y aurait en
Suisse une majorité de crétins. Et bien, c'est
justement ce que nous ne pensons pas.
Les abstentionnistes, c'est un fait connu, se rencontrent surtout
parmi les personnes à bas revenus, les gens qui n'ont pas fait
d'études, les femmes, les jeunes… soit celles et ceux
qui, dans les autres domaines de la vie sociale, n'ont
généralement pas leur mot à dire. Les
médias affirment que ces personnes sont indifférentes
ou satisfaites de leur sort et qu'elles ne peuvent s'en prendre
qu'à elles-mêmes si tel n'est pas le cas, car elles
n'avaient qu'à aller voter ! Eh bien Aujourd'hui - qui
est un média aussi - avait justement autre chose
à dire.
L'objectif de notre précédent article visait
notamment à donner un sens à une pratique très
répandue, mais peu explicite. Nous sommes convaincus que si
les gens ne vont pas voter, c'est bien parce qu'obscurément en
tout cas, ils pensent que cela ne sert pas à grand chose, que
cela ne va pas changer fondamentalement leur vie. Comme tel est aussi
notre avis, nous avons tenu à l'exprimer, à donner des
arguments à ces sans voix qui partagent certaines de nos
idées.
Nous tenions aussi à souligner que l'attitude des
élus socialistes, verts ou communistes ne peut jamais -
de par la nature même du système &emdash;
répondre aux attentes des électeurs. A force de
promesses non tenues, ces marchands d'illusions perdent leur
crédit et favorisent les politiciens de droite du type UDC qui
manient mieux la démagogie.
Soulignons au passage que l'électeur est souvent plus
irrationnel que l'abstentionniste. Le scrutin du 24 octobre l'a
prouvé : des pauvres gens ont été apporter leur
soutien à ceux qui veulent diminuer les prestations sociales
et faire des cadeaux fiscaux aux riches. Dans le doute
s'abstenir… est tout de même une attitude bien plus
responsable que celle qui consiste à voter pour des types dont
les discours vous ont pris aux tripes, pour ceux dont on parle le
plus dans les médias, etc. On aimerait d'ailleurs bien savoir
quel pourcentage des électeurs connaît le programme du
parti qu'il choisit.
Notre article s'adressait aussi aux électeurs habituels,
c'était le sens du mot "Osons… Il y a des gens, parmi
lesquels nous sommes d'ailleurs, qui observent qu'il a des
différences entre une politique de gauche et une politique de
droite. Ces différences sont certes minimes &emdash; les
patrons continuent à exploiter les ouvriers, à
licencier quand ça les arrange… - mais elles
existent. Toute une frange de l'électorat de gauche est
constituée de gens qui votent sans enthousiasme mais en
pensant que c'est un moindre mal. Le but de notre article
était aussi de les détourner du "droit chemin" en leur
suggérant de rejoindre le camp de l'abstentionnisme. Pas pour
ses résultats immédiats, mais par hygiène
mentale.
Voter, c'est un peu comme verser son obole à la
Croix-Rouge, cela sert surtout à se donner bonne conscience.
S'abstenir par contre, c'est à nos yeux une façon de
prendre conscience de son impuissance, de reconnaître que ce
n'est pas ainsi que les choses vont changer et cela devrait &emdash;
nous l'espérons &emdash; encourager des personnes à se
poser des questions et à s'engager sur d'autres terrains.
Cette suggestion s'adresse aussi aux candidats "honnêtes", non
carriéristes qui, s'ils sont élus, risquent
d'être contraints à des concessions et des
compromissions déshonorantes.
Voter blanc ? Pourquoi pas. Mais cette proposition "de glisser
dans l'urne un bulletin blanc, marquant du même coup votre
intérêt et votre désapprobation par rapport
à ce qui vous est soumis" fait appel à une
subtilité byzantine qui ne répond sûrement pas
aux préoccupations de la grande majorité des
abstentionnistes. De plus, si l'abstention est toujours
signalée dans les journaux, tel n'est pas le cas du vote blanc
dont le pourcentage n'est en général pas publié.
Ceci dit, si un mouvement de masse se positionnait pour le vote
blanc, nous en serions peut-être partie prenante, mais nous
n'en serons pas à l'initiative, parce nous pensons que c'est
faire beaucoup trop de cas du système politique actuel que se
plier à ses cadences, que d'accepter les
échéances officielles pour manifester notre
contestation.
En fait, nous sommes même en contradiction avec
nous-même en appelant à l'abstention. Peut-être
aurions-nous dû en abstenir et rester indifférents face
à la "farce électorale" ! Quand les gens comprendront
que les "facilités" offertes par la démocratie actuelle
visent surtout à intégrer la contestation, quand ils
choisiront d'autres terrains de lutte, comme celui de l'entreprise ou
de la rue pour exprimer leurs revendications, de tels articles
"didactiques" ne seront probablement plus nécessaires.
M. Argery
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