Accueil --- Nouveau --- Infos --- Textes --- Liens
Capitalisme --- Divers --- Histoire --- Luttes --- Répression --- Syndicalisme --- Utopie

La guerre au Kosovo et en Yougoslavie

Aujourd'hui no 40 (16 avril 1999)



Le Nécrophile, Jean Benoît (1964-65)


Alfred Kubin, La Guerre (1905)

Pour ceux qui comme nous ne disposent que des informations et commentaires publiés dans la presse, il est bien difficile de distinguer les faits et analyses des discours idéologiques et partisans.

Une chose en tout cas est établie : le régime « national-bolchévique » de Milosevic, qui massacre et déporte en masse ses propres concitoyens d'origine albanaise, rappelle les méthodes de Staline ou celles de Pol Pot. Ceci étant dit, l'intervention de l'OTAN ne relève pas de la morale ou de la justice, mais de la crédibilité et des intérêts bien compris des différents membres de l'Alliance. Les plus puissants étant les mieux servis. Les États-Unis veulent consolider leur leadership politique et économique mondial et affaiblir durablement leurs concurrents potentiels comme la Russie ou l'Union européenne. Par ailleurs, l'engagement américain permet de justifier, aux yeux de l'opinion publique, le maintien des bases de l'OTAN en Europe, après la chute du mur de Berlin.

Les pays européens quant à eux cherchent à circonscrire l'embrasement d'une région frontalière. Ils ne peuvent accepter une zone d'instabilité aussi proche. Leur objectif est d'atteindre à une stabilité dans les Balkans le plus vite possible, notamment parce que cette région est une voie de passage des ressources énergétique de l'Asie à l'Europe.

Pour toutes ces raisons on ne peut accepter l'alternative dans laquelle on prétend nous enfermer : « soit vous êtes pour l'OTAN, soit vous êtes pour les Serbes ». Nous sommes contre la barbarie fasciste, mais aussi contre le nouvel ordre mondial qui consacre toutes les inégalités actuelles et qui tolère volontiers les dictateurs sanglants quand ils ne sont pas trop encombrants, quand leur action ne déstabilise pas le système... La façon de traiter la question kurde et la complaisance vis-à-vis de la Turquie démontrent bien que les considérations humanitaires sont toujours subordonnées aux intérêts des nations.

Ceci dit, nous condamnons évidemment la négation des droits élémentaires des Kosovars et toutes les exactions dont ils sont victimes. Nous voulons que la Suisse, qui les expulsait encore vers Belgrade au déclenchement de la guerre, ouvre désormais grandes ses frontières aux réfugiés et aussi aux déserteurs de l'armée yougoslave... Mais pour ce qui est de la guerre elle-même, nous ne pouvons que constater notre impuissance. Quel sens peut-il y avoir à proclamer des principes pacifistes, à réclamer par exemple, depuis un salon genevois ou parisien, l'arrêt immédiat des hostilités et l'autodétermination du Kosovo, quand on n'a aucun moyen d'imposer une telle politique ? Les incantations à usage interne, les petites phrases des « intellectuels » qui cultivent leur différence... ne sont pas notre tasse de thé.

Nous pensons qu'il n'est pas non plus possible de renvoyer dos à dos Milosevic et l'OTAN, en affirmant que les frappes ont aggravé et accéléré l'« épuration ethnique ». Personne ne peut réécrire l'histoire et dire ce qui se serait passé si d'autres décisions avaient été prises. Il est clair que pour des raisons de politique intérieure de ses pays membres l'OTAN a choisi, du moins jusqu'au moment où nous écrivons ces lignes, de mener une action qui limite de manière drastique les risques de pertes humaines pour ses soldats. La vie des populations civiles au sol, notamment des victimes de la répression serbe passant bien sûr au second plan ; et ceci de manière parfaitement consciente, s'il se confirme que le plan de déportation massive de Milosevic était connu d'avance.

Mais revenons un petit peu en arrière. C'est en flattant le nationalisme serbe que Milosevic est parvenu à instaurer son régime « brun-rouge » contre ses concurrents pour le pouvoir. La désinformation n'explique pas tout, beaucoup de Serbes sont convaincus d'être les « victimes », les perdants du démembrement de la Yougoslavie. Il faut rappeler que le mouvement centrifuge qui a provoqué l'explosion de cette Fédération a débuté par la reconnaissance, dès 1991, de la Slovénie et de la Croatie par l'Allemagne. Celle-ci voyait alors d'un bon œil ces régions plus prospères que les autres passer dans sa zone d'influence. A partir de là, les Serbes et dans une moindre mesure les Croates ont entrepris une politique de « nettoyage ethnique » dans les régions qu'ils contrôlaient, surtout en Bosnie, mais aussi en Croatie. Dans un contexte d'effondrement économique et d'appauvrissement d'une grande partie de la population, un processus mortifère s'est mis en marche, transformant le pays largement multiculturel qu'était l'ex-Yougoslavie en des pays et régions pratiquement « homogènes ». Huit ans de guerre civile ont fait plus de 200'000 morts et trois millions de personnes déplacées. Les malheureux Kosovars se trouvent maintenant en bout de chaîne de cette dynamique raciste. Au nom de mythes invraisemblables, Milosevic et ses sbires prétendent faire du Kosovo leur Jérusalem 1 et doivent pour cela le vider de sa population.

Quel que puisse être l'épilogue de cette sanglante histoire, il y a d'ores et déjà quelques enseignements à en tirer. Le nationalisme, qu'il soit majoritaire ou minoritaire mène à des impasses. Il peut servir les élites montantes, mais il ne résout pas les problèmes des exploités. Certes, certains peuples sont collectivement opprimés par d'autres (c'était le cas, déjà avant les derniers événements, de la population albanaise du Kosovo qui subissait depuis dix ans une situation d'apartheid et de répression violente) et leur revendication d'autodétermination est légitime. Mais bien des exemples ont montré qu'une fois l'autonomie obtenue, les problèmes sociaux demeurent.

L'internationalisme des exploités devrait logiquement prendre le contre-pied des discours nationalistes, racistes et de l'intégrisme religieux. S'il avait existé une réelle solidarité entre les travailleurs des différentes régions de Yougoslavie on n'en serait sûrement pas arrivés à la situation actuelle. Pour arrêter le bras armé d'un dictateur, une bonne grève générale et des soldats qui désertent seraient plus efficaces que des frappes aériennes...

Il faudrait aussi demander à ceux qui nous ont tant vanté l'« autogestion yougoslave », à ceux qui considéraient que la Yougoslavie de Tito (comme l'Algérie) faisait partie des « États progressistes », pourquoi on n'observe pas de solidarité syndicale entre les travailleurs des différentes régions du pays. A titre provisoire, et à défaut d'avoir approfondi le sujet, on peut penser que lorsque l'organisation des exploités ne part pas de la base, quand elle est orchestrée par les autorités politiques et par des dirigeants professionnels, c'est comme si elle n'avait jamais existé.

M. A. & M. C.

1. Il est intéressant de relever l'attitude d'Israël face aux récents événements. Le meilleur élève et allié des États-Unis se garde bien d'applaudir aux frappes de l'OTAN, car son État repose sur le même genre de mythe : « berceau de la patrie », « terre promise » que le projet actuel de la Grande Serbie, et la déportation des Kosovars rappelle celle des Palestiniens expulsés de leurs terres...

http://direct.perso.ch/auj04001.html