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Dossier sectes

Par les Ami-e-s de l'AIT de Lausanne

L'Affranci no 13 (automne 1996)

Après les massacres du Temple solaire et l'attentat de la secte Aum, au gaz sarin dans le métro de Tokyo, de nombreux articles, ouvrages, émissions de télévision... ont mis en lumière une réalité jusqu'ici largement sous-estimée. Le phénomène sectaire est en progression. Les grandes sectes telles que Moon, la Scientologie, Krishna, le mouvement raëlien (adorateur des extra-terrestres)... connaissent, depuis les années 70, une période d'expansion. Même l'Association des Témoins de Jéhovah &emdash; qui a connu une grave crise en 1975, lorsque «l'ultime bataille contre Satan et ses démons» n'a pas eu lieu &emdash; a repris sa croissance . Au sein des églises traditionnelles, on assiste aussi au développement de mouvements intégristes ou fondamentalistes qui adoptent des formes sectaires. Faut-il rappeler que le Temple du Peuple de Jim Jones, dont l'histoire s'acheva en Guyane par un «suicide» collectif de 913 personnes en 1978, était issu de l'Eglise protestante ? Et puis, il y a de plus en plus de petites sectes difficilement identifiables (comme le Temple Solaire) de quelques centaines, voire quelques dizaines de membres.

La définition du terme de «secte» est un enjeu. Celle proposée par les dictionnaires n'est pas péjorative, on y lit par exemple qu'une secte est un «groupe organisé de personnes qui ont la même doctrine au sein d'une religion» ou simplement un «ensemble de personnes qui professent une même doctrine» . Par contre le même dictionnaire propose comme synonymes de «sectaire», les termes de «fanatique» et d'«intolérant».

Les groupes que nous allons décrire dans ce dossier ne se considèrent pas comme des sectes et préfèrent l'appellation de «religion minoritaire». L'enjeux est de taille, car les religions ont des droits particuliers, des avantages fiscaux... Nous n'allons pas entrer dans ce débat qui divise les juristes. Cela dit, si beaucoup de sectes fonctionnent au religieux, qu'il soit chrétien, inspiré des religions orientales ou syncrétique ; pour d'autres, la religion n'est qu'une carte de visite. Pensons à la Scientologie, dont la «religion» est une méthode pseudo-scientifique de développement personnel et surtout une véritable pompe à fric. D'autres sectes mettent en avant la recherche philosophique (Nouvelle Acropole), les médecines parallèles, ou même l'écologie... Ce qui est important, c'est que tous ces mouvements fonctionnent suivant une même logique aliénante et autoritaire qui se situe aux antipodes des relations humaines auxquelles aspirent les libertaires, et que derrière les discours lénifiants des messages «spirituels», il y a une dimension politique qui est fort inquiétante.

Ce qui fait la spécificité de ce que nous appelons une secte, c'est tout d'abord la forme d'organisation et le type d'allégeance qui est exigé des adeptes. La majorité des adeptes des sectes sont recrutés entre 18 et 25 ans . Ils sont généralement issus des classes moyennes ou aisées. Il s'agit souvent de personnalités fragiles, hypersensibles, en rupture avec leur famille ou passant par une phase difficile (échec dans les études, chômage ...) Il y a chez l'adepte potentiel un manque affectif, une solitude, une faiblesse de caractère que la secte va se charger de combler.

Le recrutement se fait par des méthodes de séduction. On fait miroiter au futur adepte la sagesse, les compétences voire la richesse qu'il acquerra en adhérant au groupe. L'entrée en secte est très agréable. Au début, l'idéologie profonde n'est pas mise en avant. Les recruteurs suivent des consignes du genre «parlez leur de ce qui les intéresse, surtout d'eux-mêmes». Tout commence par ce que certains auteurs appellent le «bombardement d'amour». «La phase de captation consiste exclusivement à submerger le sujet de liens affectifs qui le rassurent et lui donnent le sentiment d'appartenance à un groupe.»

Une fois que le poisson a mordu à l'hameçon, on lui propose de se convertir, d'abandonner son ancienne personnalité par un baptême, une remise de diplôme, une expérience hallucinatoire ou autre.

Les sectes insistent beaucoup sur l'expérience personnelle, le «vécu», les sensations physiques... qui constituent autant de «preuves» de la «validité» de la doctrine proposée. Ces sensations sont provoquées par des privations de sommeil, de nourriture ou par d'autres techniques. La scientologie propose par exemple une «méthode de purification» pseudo-médicale associant sauna à haute dose (quatre à six heures par jour), course à pied et hypervitaminose. Ces pratiques provoquent des éruptions cutanées, de l'hyperurénie et d'autres symptômes qui sont présentés comme autant de preuves de l'efficacité de la méthode. Ce «traitement», proposé notamment aux toxicomanes , entraîne aussi des troubles cardiaques et mentaux, il peut être mortel.

Voyons comment s'effectue le cheminement dans la hiérarchie de la secte. Petit à petit, le nouvel adepte va se trouver débordé par de nombreuses obligations. Plus il accepte de «responsabilités», plus ses liens de dépendance avec la secte se renforcent, plus il perd son autonomie. On a pu comparer ce fonctionnement avec celui des réseaux de toxicomanes. «La dépendance contraint à l'achat de drogue ou à celui d'un service par l'adepte, à moins qu'elle n'oblige à payer sous forme de travail pour la vente ou le prosélytisme, la vente procure des bénéfices qui sont utilisés pour la consommation personnelle, et la connaissance du réseau interdit la trahison car le toxicomane (ou le sectarisé) est lui-même un maillon du réseau descendant comme consommateur (ou adepte) et du réseau ascendant comme dealer (ou prosélyte). De même que peu de toxicomanes échappent au rôle de dealer, de même les manipulateurs d'un échelon deviennent les manipulés de l'échelon supérieur.»

Gourous et manipulateurs

Les sectes ont toutes une structure hiérarchique avec un gourou à leur tête. Le terme de gourou est issu d'un mot sanskrit qui signifie «vénérable». Nous l'utilisons ici dans son extension moderne proposée par Jean-Marie Abgrall de «leader charismatique d'un groupe sectaire» . Le pouvoir charismatique a pu être observé dans de nombreuses sociétés. Il apparaît dans les périodes de crises, d'incertitudes... il peut naître spontanément de la rencontre entre un leader potentiel et des gens qui sont en attente, à la recherche de certitudes. Mais, il peut aussi être provoqué volontairement .

Selon Jean-Marie Abgrall «il n'y a pas de gourou sans paranoïa» . Cela dit, si certains gourous sont des psychopathes, tous ne sont pas fous. Dans la corporation, on rencontre aussi de véritables escrocs.

Si l'on en croit certaines explications psychologiques, le gourou est à l'image d'un père omnipotent et la secte elle-même tend à jouer le rôle d'une mère fusionnelle dans laquelle l'adepte peut se noyer au point de vivre toute agression contre le groupe comme une agression contre son propre corps. Dans leur soumission commune à la secte-mère, les coadeptes vivent entre eux des conflits «fraternels» et ont tendance à rivaliser de zèle pour gagner l'amour du gourou-père... Cette dynamique pseudo-familiale offre de nombreux cas de figure.

Suivant l'importance numérique de la secte, les niveaux hiérarchiques sont plus ou moins nombreux. Dans les groupes débutants ou à faible développement, tous les adeptes ont une relation directe avec le gourou et le schéma psychologique ci-dessus est certainement valable, mais qu'en est-il des grandes sectes ?

Celles-ci ont une structure pyramidale ou en toile d'araignée et le gourou est entouré d'une ou plusieurs élites, qui règnent sur les différentes strates d'adeptes jusqu'à la base. Ce qui manque le plus dans les travaux sur les sectes, du moins dans ceux que nous avons consultés, c'est une description précise de l'élite, de l'entourage du gourou. Nous avons l'impression qu'une partie du mystère des sectes se situe à ce niveau-là .

Il serait naïf de croire que les sectes ne fonctionnent qu'avec des dévots et des illuminés. Soit il existe, dans les différents endroits où une secte est implantée, des personnages qui ont un certain charisme et qui jouent un rôle de «sous-gourou»; soit les membres de l'élite sont des «prêtres» sans charisme particulier, qui bénéficient eux-mêmes de la dévotion que les fidèles vouent au gourou.

Poser le problème de la sincérité des adeptes situés au haut de la hiérarchie (ou celle du gourou) est une question insoluble. Tout comme il y a des cyniques qui finissent à se prendre à leur jeu, il peut y avoir des adeptes qui, arrivés à une certain niveau de la hiérarchie, s'affranchissent des mécanismes qu'ils ont subis jusque-là et restent dans la secte pour bénéficier des avantages attachés à leur rang. De toute manière, nous pensons qu'il y a dans la plupart des sectes, des gens lucides qui poursuivent des objectifs bien peu spirituels.

Certaines sectes sont de véritables multinationales disposant de très importants moyens financiers. Leur discrétion, les réseaux qu'elles constituent, l'activisme et la soumission des adeptes dont elles pompent les ressources, en font des organisations d'une redoutable efficacité. Quand elles en ont l'opportunité, elles infiltrent les sphères politiques ou économiques. De plus, certains politiciens n'hésitent pas à en faire leurs alliés, certains services secrets à les utiliser... La scientologie et la secte Moon, nous en donnent deux exemples.

La Scientologie

D'après le Times, l'Eglise de scientologie disposerait «de près de quatre cents millions de dollars sur des comptes en Suisse, à Chypre et au Liechtenstein» . En Allemagne, selon le magazine Focus, la scientologie constituerait «une véritable mafia économique» . Si l'on en croit Claudia Nolte, ministre allemand de la Famille, «les scientologues contrôlent déjà plus de 70 entreprises qui alimentent, directement ou indirectement, les finances de la secte» .

Dans de nombreux pays, les centres Narconon et leurs prétendus traitements contre la toxicomanie constituent une carte de visite pour la scientologie . En Suisse, il existe déjà deux de ces centres, un dans la banlieue de Zürich, l'autre aux Plans-sur-Bex dans le canton de Vaud. Les habitants de ce village ont demandé, par pétition, la fermeture de ce centre; pourtant celui-ci a reçu l'aval des autorités, le Service de prévoyance et d'aide sociale prenant même en charge les frais de «traitement» de certains pensionnaires. Aux questions de deux députés, le Conseil d'Etat à notamment répondu «que la méthode, bien que discutable du point de vue scientifique, semble être un support utile à la prise en charge de ces jeunes toxicomanes» et que «des actes illicites commis à l'étranger (...) n'impliquent pas que des actes semblables seront commis en Suisse et ne peuvent être évoqués comme motif de refus» . Fort de cette reconnaissance, les scientologues ont entrepris des démarches d'infiltration en direction de l'appareil d'Etat. On sait qu'ils ont proposé leurs services au Centre vaudois de recherches pédagogiques et au directeur de la prison de Champ-Dollon à Genève , qu'ils essaient d'ouvrir des écoles privées, qu'ils envoient des ouvrages «pédagogiques» aux responsables de l'enseignement primaire, aux infirmières scolaires... Selon un haut fonctionnaire, une enquête dans l'administration genevoise a montré que «les scientologues n'occupent pas, dans la fonction publique, les places trop exposées. Ils se contentent de postes clefs, dans lesquels ils peuvent jouer un rôle stratégique.»

A la conquête de la Russie

La gigantesque crise sociale et morale que connaît aujourd'hui la Russie, en fait une proie de choix pour les sectes en tout genre. Dans ce pays aussi, c'est grâce à leur soi-disant «méthode de désintoxication des drogués et des alcooliques» que les scientologues sont entrés en rapport avec un pouvoir qui accepte volontiers cette «aide». Le «programme de purification» a également été appliqué à des enfants victimes de Tchernobyl, avec l'agrément du sous-ministre de la Santé et de deux professeurs de l'Académie des sciences. Les enfants n'ont pas été guéris, mais la scientologie est désormais reconnue comme une science exacte. Son fondateur L. Ron Hubbard à été fait docteur honoris causa, à titre posthume, par l'Université d'Etat de Moscou. Echange de bons procédés : la scientologie a refait à neuf la bibliothèque de l'Institut de journalisme de l'Université. La salle s'appelle désormais «Salle de lecture L. Ron Hubbard»; à l'entrée, le buste de Hubbard a remplacé celui de Lénine.

D'un autre côté, la méthode de Management des scientologues s'est imposée dans des centaines d'usines, de banques, d'administrations. Les efforts de la secte semblent se concentrer sur la région de l'Oural où se trouve l'industrie lourde d'armement. Selon la revue moscovite Ogonjok, «les directeurs et managers de 28 usines, employant des dizaines de milliers de personnes, ont été soumis à un entraînement aux méthodes Hubbard (...) L'introduction du système Hubbard n'a pas enthousiasmé tout le monde, loin de là : les employés se plaignent de structures de commandement «staliniennes», des licenciements ou démissions des meilleurs spécialistes, écoeurés...» . Les scientologues offrent également des stages d'entraînement aux policiers de Moscou et ont commencé à infiltrer les Forces Armées. Corruption ? Séduction d'une méthode venant des Etats-Unis ? Recherche d'une solution miracle face à la désorganisation générale ? Tout cela se fait avec la bénédiction des autorités. De très hauts responsables politiques faisant publiquement l'éloge de L. Ron Hubbard .

La secte Moon

Selon B. Fillaire, la secte Moon (Eglise de l'unification) «se situe parmi les cinquante plus importantes multinationales» . Son activité commerciale va de la construction navale aux produits alimentaires, en passant par la presse, l'audiovisuel, les armements, etc. A sa tête, le révérend coréen Moon Sun-myung (qui se prend pour le nouveau messie) s'est singularisé par les «mariages collectifs» qu'il organise régulièrement, choisissant lui-même, sur photos, les fiancés qu'il juge complémentaires. Le révérend n'a jamais fait mystère de ses opinions politiques. Fer de lance de la lutte contre le communisme, Moon et son Eglise «ont mené une politique de droite tellement outrancière qu'elle a réussi à plonger dans l'embarras nombre de leurs sympathisants pourtant conservateurs» .

En Corée du Sud, de 1961 à 1979, la secte a apporté un soutien sans faille au dictateur Park Chung-hee. Cependant elle ne semble pas avoir souffert de la démocratisation du pays dans lequel elle gère une trentaine d'entreprises. Peter McGill suppose qu'il existe une alliance secrète entre le gouvernement de Séoul et la secte Moon, cette dernière défendrait les intérêts économiques et politique du pays en collaboration avec ses services secrets. Cela expliquerait l'attitude adoptée par Moon depuis la chute du mur de Berlin.

En 1990, lors d'une «Conférence Mondiale des Médias» organisée par la secte, M. et Mme Moon rencontrent à Moscou le couple Gorbatchev à qui ils remettent une somme de 100'000 $. Depuis l'Eglise de l'unification est bien introduite en Russie. Elle y organise des cours pour étudiants et enseignants dans le but de pénétrer le système de l'éducation publique. Mon monde et moi - Le chemin de l'unité, un livre mooniste, sert déjà de manuel de «perfectionnement moral» dans les écoles de Kalmoukie (Nord du Caucase) où des moonistes occuperaient des positions-clés dans le gouvernement local. Ce manuel est aussi utilisé dans d'autres régions de la CEI, notamment dans les Pays baltes. Il devrait également «être adapté pour servir de base à l'éducation morale des appelés russes, remplaçant ainsi l'enseignement du marxisme-léninisme.»

Après avoir concentré ses efforts de recrutement en Russie, la secte Moon semble recentrer son activité aux Etats-Unis. Par l'intermédiaire d'une de ses organisations satellite (Professors for Wold Peace Academy) elle a acquis l'université de Bridgeport, non loin de New York, où elle accueille notamment ses nouveaux adeptes russes . Mais c'est en Californie qu'elle semble le plus active, au point que l'Office fédéral suisse de la police a adressé, le 12 juillet dernier, une mise en garde aux jeunes touristes qui se rendent dans cette région .

La secte Moon part également à la conquête de la Corée du Nord. En 1991, Moon rencontre Kim Il-sung. Depuis, la secte loue une immense propriété de 1'200 hectares au gouvernement nord-coréen. Elle projette d'y construire un temple à la gloire de Moon. Ce temple ressemble étrangement au monument consacré à Kim Il-sung, mort en 1994. «Une «fusion» ou une prise de contrôle du culte de Kim Il-sung par la secte Moon n'est pas impensable.»

L'ironie de toute cette affaire, c'est que l'expansion de l'influence de Séoul au travers du culte de Moon se fait en grande partie grâce à des fonds récoltés au Japon, ennemi héréditaire de la Corée où la secte «a toujours compté deux fois plus d'adhérents (...) que dans le reste du monde» . Plus de 300 sociétés japonaises seraient contrôlées par l'Eglise de l'unification. Les symboles chrétiens utilisés par Moon ne sont pas toujours bien acceptés par les Japonais, pour palier à cet inconvénient, la secte a embrigadé un «médium spiritiste charismatique» qui pratique un culte populaire bouddhiste, auprès de ses 10'000 fidèles. Seuls les initiés savent qu'il vénèrent en fait Moon Sun-myung.

Convergence avec l'extrême-droite

Malgré leur diversité apparente, les mouvements sectaires apparaissent tous comme de véritables entreprises disciplinaires et peuvent efficacement jouer un rôle de groupes de pression. Sur un plan idéologique aussi les différentes sectes semblent tirer à la même corde.

Lors d'un précédent article sur Nouvelle Acropole (voir l'Affranchi n°10) nous avons décrit une organisation à caractère sectaire qui, sous une couverture philosophique, dissimule une idéologie nazie et des groupes d'action para-militaire. Une récente enquête dévoile les liens entre les dirigeants de l'Ordre du Temple Solaire et certaines organisations d'extrême-droite. D'une manière générale, nous pensons qu'il existe une convergence entre la dynamique sectaire et l'extrêmisme de droite. C'est en tout cas une hypothèse que développe Bernard Fillaire. Selon cet auteur, les principales sectes auraient en commun un certain nombre de thèmes tels que la soumission de l'humanité à une prétendue loi naturelle, l'élitisme, la volonté d'éliminer les faibles... qui sont traditionnellement mis en avant par les fascistes. Quelques citations illustreront cette proximité : voici un message de Maharishi Mahesh Yogi gourou de la Méditation Transcendantale : «Ce sont les forts qui doivent conduire (...) et, si les faibles ne suivent pas, il ne saurait y avoir de place pour eux. (...) Dans la nature elle-même, les faibles disparaissent. La non-existence des faibles est une loi de la nature» . Claude Vorilhon, gourou du mouvement raëlien, propose de remplacer la démocratie par le «géniocratie» : «Le principe de base consiste à faire passer des tests scientifiques de mesure de l'intelligence à toute la population, et à donner le droite de vote seulement à ceux dont l'intelligence (...) est supérieure de 10% à la moyenne, et à permettre seulement aux hommes dont l'intelligence à l'état brut est supérieure de 50% à la moyenne (les génies) d'être éligibles.» Pour le groupe français Energo-Chromo-Kinèse qui prétend que l'homme est une antenne qui établit un courant énergétique entre le cosmos et la terre, l'holocauste juif aurait été «somme toute bénéfique, car il aurait permis une forte remontée énergétique vers le cosmos...» Quant à Moïse David, gourou de la Famille d'amour (ex-Enfants de Dieu), il déclare tout simplement «Si vous lisez Mein Kampf de Hitler, vous verrez comme c'est persuasif dans sa logique et théorie» .

Pour Bernard Fillaire, les sectes ne seraient pas une évolution, une mutation du nazisme. Elles lui préexisteraient, ce qui comme prophétie n'est pas très rassurant ! Et il nous rappelle que Hitler avait rédigé Mein Kampf en collaboration avec Karl Haushofer et Rudolf Hess deux membres de la Secte Thulé, une société secrète qui travaillait à la résurgence du fond païen nordique.

Les amis des sectes

Les sectes ont des ennemis, notamment les Associations de défense des familles et de l'individu (ADFI) qui soutiennent les personnes dont des proches sont embrigadés dans des sectes, qui aident celles et ceux qui essaient de s'en sortir. Mais elles ont aussi des amis, notamment parmi les spécialistes des «nouveaux mouvements religieux». Des sociologues et des historiens offrent aujourd'hui une caution «scientifique» aux sectes au nom de la liberté de croyance, de la liberté du commerce. Par exemple, l'historien du protestantisme Jean Baubérot se demande «Pourquoi les mêmes pratiques agressives de marketing et de recrutement sont-elles considérées comme licites dans le domaine commercial et illicites dans le domaine symbolique ?» . Notre éducation religieuse est fort déficiente, mais il nous semble avoir entendu parler d'une histoire de marchands du temple...

A la tête des amis des sectes on trouve le Centre d'études des nouveaux mouvements religieux (CESNUR) dont le directeur est un certain Massimo Introvigne de Turin. Catholique conservateur, admirateur de l'Opus Dei, Introvigne dit avoir d'étroites relations avec la hiérarchie catholique et le Vatican . Il est d'ailleurs professeur d'histoire des religions dans l'une des universités pontificales de Rome . Introvigne est souvent l'hôte des médias. On le voit à la télévision, il s'exprime dans Le Monde et même dans L'Humanité . En Suisse, le disciple et collaborateur de Massimo Introvigne est un certain Jean-François Mayer, Historien des religions, auteur d'une Enquête sur la religiosité parallèle en Suisse , Jean-François Mayer travaille à Berne à l'Office central de la défense. On l'a beaucoup vu à la télévision après les drames de Salvan et Cheiry.

Dans un livre autobiographique, Mayer décrit son curieux itinéraire. Touché par l'Opus Dei à Fribourg alors qu'il avait 16 ans, il fréquente un peu plus tard, durant ses études à Lyon, le milieu catholique intégriste (les amis de Mgr Lefebvre et ceux de l'abbé Georges de Nantes). Puis il rejoint l'Eglise orthodoxe, s'intéresse au fondamentalisme protestant... avant d'être attiré par les sectes, qu'il finit par étudier en chercheur, affirmant que son approche repose sur «un mélange de sympathie et de distance critique» .

On sait que Mayer a eu des liens directs avec l'extrême-droite : entre 1976 et 1977, il diffuse à Lyon le périodique Défense de l'Occident; en 1986, il collabore à Panorama des idées actuelles une revue du GRECE . Dans son autobiographie, son orientation politique n'est pas clairement affichée, mais on le sent toujours bien proche de la Nouvelle droite quand il déclare, à propos d'une petite communauté chrétienne orientale sur le déclin : «le flambeau continuera peut-être à passer d'une génération à l'autre, dans ce monde sécularisé et en voie d'uniformisation, plus dangereux pour la perpétuation leur foi et de leur culture que tous les envahisseurs des temps passés.» Mayer reconnaît aussi avoir accepté à plusieurs reprises des invitations de la secte Moon ou de la CAUSA «son bras anticommuniste» . Il admire «l'extraordinaire capacité de mobilisation» de cette secte. D'une manière générale Mayer semble à l'affût de la «recette» des sectes «qui marchent» au même titre que certains chercheurs de gauche sont à l'affût des nouveaux mouvements sociaux...

Pour les défenseurs des «nouveaux mouvements religieux» ce qui importe, c'est que les gens croient avec ferveur, c'est qu'ils se mettent à genoux, qu'ils se soumettent à une force supérieure peu importe laquelle... qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse. Sectes ou Eglises officielles même combat ! Introvigne en est convaincu quand il observe que «dans tous les pays où augmente le nombre d'adhérents des nouveaux mouvements religieux, à l'exception de la France , il y a une reprise du nombre des personnes qui se rendent à la messe catholique.»

Notre combat

Les associations anti-sectes privilégient le terrain juridique , certains de leurs membres réclament de nouvelles lois contre les mouvements sectaires. Des parents désespérés font appel à des «déprogrammeurs» dont les méthodes coercitives ne sont pas très différentes de celles des sectes. Ce combat n'est pas le nôtre. La lutte contre les sectes est politique. Elle est aussi idéologique et intellectuelle. Il faut mettre à jour l'idéologie fasciste que les sectes camouflent aux nouveaux adeptes et expliquer comment se pratique la manipulation mentale.

Et puis, il y a tout un travail de réflexion à faire pour revaloriser le discours rationnel, scientifique, que le système capitaliste a profondément dévoyé. Pour beaucoup de gens la science est synonyme de bombe atomique, de manipulations génétiques, de pollution chimique, etc. Il y là une grave confusion qui favorise le «retour du religieux». La science c'est autre chose que la rationalité instrumentale des économistes et la loi du profit. La véritable démarche scientifique implique le refus des dogmes, le libre débat, le doute, la vérification des faits...

Certes, l'Etat et le système capitaliste exploitent aujourd'hui la connaissance à leur profit, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il soit souhaitable de retourner vers l'obscurantisme. Sans se lancer ici dans une réflexion épistémologique sur les fondements de la raison, on peut affirmer que le recours à des certitudes religieuses ou sectaires ne permettra pas de résoudre les problèmes posés à l'humanité. Aujourd'hui des «savants», des faiseurs d'opinion, abdiquent de leurs responsabilités et se réfugient dans l'irrationnel. C'est ce que découvre l'écrivain bengali Taslima Nasreen qui a fuit son pays, persécutée par les Mollah. Elle observe avec angoisse que des professeurs d'université, des intellectuels «des Occidentaux repus de confort cherchent refuge dans l'hindouisme, confient leur salut à un gourou, chef d'une secte religieuse d'obédience hindoue, pour guérir leurs malheurs, pour pallier leurs frustrations engendrées par le christianisme, le capitalisme, la société de consommation (...). Cela [lui] paraît une des plus grandes erreurs parmi celles répandues en Occident, que d'aller chercher le havre d'autres religions et superstitions, ou de croire que les philosophies orientales vont résoudre les problèmes nés de la solitude, de la futilité, de la vacuité de la vie dans la société capitaliste, sous le règne du machinisme du monde moderne. C'est ne pas voir, entre autres, que la religion est à la base de l'arriération et des blocages politiques, économiques, sociaux et culturels du monde indien. C'est nier la valeur du combat que mènent dans le sous-continent des esprits rationnels, vigilants, humanistes, pour éradiquer cette terrible maladie de l'esprit qui a pour nom religion.»

Les anarcho-syndicalistes, les libertaires... ne devraient pas limiter leurs réflexions à des questions stratégiques ou tactiques. Toutes celles et ceux qui en ont le temps et la possibilité devraient s'atteler sérieusement à des questions de fond sur le sens de notre démarche; sur son inscription dans l'histoire de l'humanité vers le progrès des lumières, de la liberté, du savoir. Il nous semble que ce terrain a largement été laissé en friche depuis le début de ce siècle. Il est aujourd'hui à conquérir.

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