Anarchisme ouvrier contre "syndicalisme révolutionnaire"
Un combat de la Fédération ouvrière
régionale argentine
par Ariane
L'Affranchi no 9 (octobre-novembre 1994)
Au sein de l'Association internationale des travailleurs
(AIT), comme dans le mouvement libertaire en général,
il existe un certain flou artistique concernant la
définition même de ce que nous sommes.
Anarchistes, anarcho-syndicalistes, syndicalistes révolutionnaires...
voici des adjectifs par lesquels nous nous définissons
volontiers et qui nous semblent synonymes. Pourtant,
dans la bouche des uns ou des autres, ces mots n'ont
souvent pas le même sens. En fait, derrière
ces différentes appellations se cachent des
divergences, des ambiguïtés qui accompagnent
notre Internationale depuis son origine et qu'il faudra
sans doute résoudre un jour. Le texte qui suit
tente de restituer un aspect de ce débat, tel
qu'il s'est présenté en Argentine, entre
1900 et 1930.
Comme nous l'avons déjà signalé
dans un précédent article (Argentine
1919 La semaine tragique, in : l'Affranchi no 7) les
anarchistes sont à l'origine du mouvement ouvrier
argentin. Jusqu'en 1910, ils sont pratiquement hégémoniques
en son sein. Mais affaiblis par la terrible répression
consécutive aux protestations ouvrières
qui ont lieu lors de la commémoration du centenaire
de l'Etat argentin, ils perdent progressivement leur
prééminence. Jusqu'à la dictature
du général Uriburu en 1930, les anarchistes
ont encore une grande influence dans la classe ouvrière
argentine, mais ils sont confrontés à
d'autres idéologies dont la plus importante
est celle du syndicalisme révolutionnaire. Leur
organisation, la Fédération ouvrière
régionale argentine (FORA) adhère à
l'Association internationale des travailleurs (AIT)
dès sa constitution en 1922. Pourtant, la FORA
rejette les principes du syndicalisme révolutionnaire
qui figurent dans les statuts de l'AIT. Les réflexions
critiques, surtout lorsqu'elles proviennent de compagnons
qui n'ont jamais failli à leur devoir de solidarité
internationale, constituent un patrimoine historique
qui mérite d'être partagé. C'est
pourquoi, dans la première partie du présent
article, nous allons tenter d'expliquer en quoi le
"forisme", ou anarchisme ouvrier, diverge
des traditions anarchistes européennes. Ensuite,
nous présenterons brièvement le destin
du "syndicalisme révolutionnaire"1
argentin, courant auquel les militants de la FORA se
sont opposés pendant des années. Cette
confrontation, aussi bien idéologique que concrète,
permettant de comprendre pourquoi la FORA a dû
élaborer sa propre doctrine.
Une organisation ouvrière anarchiste
La FORA ne se définissait pas comme une organisation
syndicale, mais comme une organisation ouvrière
anarchiste. Les organisations qu'elle regroupait portaient
très rarement le nom de syndicat. Elles s'appelaient
par exemple : Société de résistance
des domestiques; Union des ouvriers boulangers... Leur
principale activité était la lutte des
travailleurs, la résistance quotidienne à
l'exploitation, mais elles diffusaient aussi l'idéal
anarchiste parmi les ouvriers. En se sens, la FORA
se sépare de toute une tradition du mouvement
libertaire qui, à la suite de Malatesta, veut
absolument différencier les organisations syndicales,
des groupes spécifiques anarchistes.
En 1907, au congrès anarchiste d'Amsterdam, Malatesta
déclare par exemple : <<Je ne demande
pas des syndicats anarchistes qui légitimeraient,
tout aussitôt des syndicats social-démocratiques,
républicains, royalistes ou autres et seraient,
tout au plus, bons à diviser plus que jamais
la classe ouvrière contre elle-même. Je
ne veux pas même de syndicats dits rouges, parce
que je ne veux pas de syndicats dits jaunes. Je veux
au contraire des syndicats largement ouverts à
tous les travailleurs sans distinction d'opinion, des
syndicats absolument neutres>>2. A cela les
militants de la FORA répliquent : <<En
réalité, il n'existe dans aucun pays
de tels syndicats, ouverts à tous les ouvriers
de toutes les tendances; même s'ils se proclament
politiquement neutres, ils n'en sont pas moins inféodés
à un parti ou à un système d'idées
ou de tactiques prédominantes (...) et l'on
ne permet pas non plus aux anarchistes de faire de
la propagande pour leurs idées dans le mouvement
syndical lié à d'autres tendances, qu'elles
soient réformistes ou révolutionnaires>>3.
Par ailleurs, les militants de la FORA ne sont pas favorables
aux groupes anarchistes à caractère philosophique
qui se limitent à faire de la propagande. Ils
n'en conçoivent l'existence que lorsque, pour
une raison ou pour une autre, il s'avère impossible
de militer dans le mouvement social. Leur position
repose sur un constat : là où l'anarchisme
a été essentiellement porté par
des philosophes, fussent-ils de la taille d'un Kropotkine,
ou par d'ardents propagandistes comme Emma Goldman
ou Johann Most, c'est-à-dire en Grande-Bretagne
ou aux Etats-Unis, il ne s'est pas beaucoup développé.
Par contre, l'Espagne et l'Argentine, qui comptent
bien peu de théoriciens anarchistes, connaissent
un mouvement puissant. La FORA en conclut que l'anarchisme
se propage mal du haut vers le bas, des intellectuels
vers le peuple et qu'il est préférable
de le diffuser directement au sein du prolétariat,
parce qu'il correspond à ses aspirations latentes.
<<Pour nous, l'anarchisme n'est pas une découverte
de laboratoire, ni le fruit de penseurs géniaux,
mais un mouvement spontané des opprimés
et exploités qui sont arrivés à
la compréhension (...) de la nocivité
du privilège et de l'inutilité de l'Etat,
et qui veulent lutter pour un ordre social qui assure
à l'homme son libre développement. La
philosophie coopère à la concrétisation
et à la définition de ces aspirations
latentes chez les masses rebelles, mais elle n'a pas
le droit de s'approprier les conceptions de l'anarchisme...>>4.
La tâche des anarchistes consiste donc à
éveiller, à la base, des tendances qui
existent déjà chez les exploités.
Car si les militants libertaires <<renoncent
à la possibilité d'agir dans le monde
du travail comme force autonome, en se contentant de
monopoliser le mouvement anarchiste dans de petits
groupes de propagande, [leur] avenir n'a rien de prometteur>>5.
Pour la FORA, l'élaboration théorique
et la résistance ouvrière sont inséparables.
Même si certains de ses membres participaient,
par ailleurs, à des groupes anarchistes (athénées,
groupes antimilitaristes...) la FORA a toujours rejeté
les groupes spécifiques, conçus comme
des mouvements idéologiques organisés.
En ce sens le modèle d'organisation "global"
ou "intégral" qui est le sien diffère
de celui adopté en Espagne dès 1927.
Voici comment l'argentin Jorge Solomonoff voit cette
divergence : <<Pour résoudre le problème
de la distance qui existe entre les formulations idéologiques
plus ou moins élaborées et les motivations
qui entraînent l'action revendicative des masses
ouvrières, on rencontre historiquement deux
types de solutions : celle qui maintient organiquement
séparées les fonctions idéologiques
et politiques de l'anarchisme de celles strictement
corporatives, dont l'exemple le plus durable est celui
de la relation entre la Fédération anarchiste
ibérique (FAI) et la Confédération
nationale du travail (CNT) espagnole. L'autre position
est celle qui soutient que l'élaboration idéologique
et l'action syndicale constituent un tout inséparable
et que l'organisation spécifique des anarchistes,
hors du mouvement ouvrier, impliquerait entre eux,
l'établissement de relations autoritaires et
aristocratiques, reproduisant les problèmes
propres aux relations conflictuelles qui existent entre
les partis politiques et les syndicats. L'exemple le
plus achevé de cette "fusion" entre
l'organisation syndicale et une idéologie "externe"
est celui de la FORA, surtout à partir de 1905.
Même si cette position n'était pas partagée
par la totalité des anarchistes, elle fût
assez forte pour empêcher l'apparition d'une
organisation politique anarchiste en Argentine, pendant
la période qui nous occupe>>6 L'ouvrage
de Solomonoff va jusqu'à la première
guerre mondiale. Par la suite, des organisations spécifiques
anarchistes sont apparues : l'Alliance libertaire argentine
dans les années '20 et la Fédération
anarcho-communiste argentine dans les années
'30 (aujourd'hui Fédération libertaire
argentine). Elles furent toutes deux combattues par
la FORA. Voyons maintenant la position de la FORA vis-a-vis
du syndicalisme révolutionnaire.
Entre anarchisme et marxisme : le syndicalisme révolutionnaire
Le syndicalisme révolutionnaire est né
à la fin du siècle dernier, en réaction
à la dérive parlementaire et réformiste
de la sociale-démocratie. Suivant ses principes,
l'organisation syndicale constitue l'organisation révolutionnaire
par excellence et le syndicalisme se suffit à
lui-même. Les syndicalistes révolutionnaires
partent de l'idée que les luttes ouvrières
constituent un exercice, une "gymnastique"
qui prépare la grève générale
révolutionnaire. Au cours de celle-ci, les travailleurs
sont censés bloquer les points névralgiques
du système (transports, communications...),
s'approprier des outils de production et remettre en
marche l'économie. Les organisations syndicales
constituant la base de la nouvelle société.
Conçu au départ par des militants ouvriers
français, dont un certain nombre d'anarchistes
(Pouget, Pelloutier...), le syndicalisme révolutionnaire
devient, avec la charte d'Amiens adoptée 1906,
la doctrine officielle de la CGT française.
Il n'est peut-être pas inutile de rappeler le
contenu de cette charte : <<La CGT groupe, en
dehors de toute école politique, tous les travailleurs
conscients de la lutte à mener pour la disparition
du patronat (...). Dans l'oeuvre revendicatrice quotidienne,
le syndicalisme poursuit la coordination des efforts
ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs
par la réalisation d'améliorations immédiates
telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation
des salaires, etc. Mais cette besogne n'est qu'un côté
de l'oeuvre du syndicalisme; il prépare l'émancipation
intégrale, qui ne peut se réaliser que
par l'expropriation capitaliste; il préconise
comme moyen d'action la grève générale
et il considère que le syndicat, aujourd'hui
groupement de résistance, sera, dans l'avenir
le groupement de production et de répartition
base de cette réorganisation sociale; (...)
le congrès affirme l'entière liberté
pour le syndiqué, de participer, en dehors du
groupement corporatif, à telles formes de lutte
correspondant à sa conception philosophique
ou politique, se bornant à lui demander, en
réciprocité, de ne pas introduire dans
le syndicat les opinions qu'il professe au-dehors (...)
les organisations confédérées
n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à
se préoccuper des partis et des sectes qui,
en dehors et à côté peuvent poursuivre
en toute liberté la transformation sociale>>.
L'insistance avec laquelle la charte d'Amiens souligne
la neutralité idéologique du syndicat
est à mettre en rapport avec la situation particulière
dans laquelle se trouve la CGT en 1906. Sans trop entrer
dans les détails, signalons qu'il y a en son
sein des militants de différentes tendances
politiques. En renonçant à faire de la
propagande partisane dans la CGT, les révolutionnaires
du bureau confédéral, parmi lesquels
il y a un certain nombre d'anarchistes7, s'assurent
du soutien du courant réformiste qui veut limiter
le rôle du syndicat aux questions purement professionnelles.
Ainsi, les syndicalistes révolutionnaires barrent
la route aux socialistes favorables à un rapprochement
entre la CGT et le parti socialiste SFIO.
A son origine, le syndicalisme révolutionnaire
ou "syndicalisme neutre" ne constitue pas
une véritable doctrine. Il est le résultat
de l'action quotidienne d'un groupe de militants syndicaux.
Par la suite, il va être théorisé
par des intellectuels se revendiquant du marxisme,
dont le plus connu est sans contexte Georges Sorel.
Contrairement aux militants que l'on trouve à
la tête de la CGT française jusqu'en 1909,
Sorel ne considère pas la grève générale
comme un projet réaliste. Pour lui c'est un
mythe, mais un mythe utile puisqu'il a la capacité
de mobiliser les travailleurs. Sorel a retenu du marxisme
l'idée que ce sont les conflits, la violence,
la lutte des classes... qui sont la source des changements,
qui font avancer l'Histoire. Pour Sorel et ses disciples,
l'évolution parlementaire du socialisme, l'idée
de conquête du pouvoir par les urnes est contraire
aux enseignements de Marx. Dans la première
décade de ce siècle, ils voient dans
le syndicalisme la planche de salut du marxisme8.
Il se trouve qu'en Argentine, comme dans d'autres pays,
ce sont les idées de ces théoriciens,
plutôt que celles développées par
les militants ouvriers français de la CGT, qui
se sont propagées sous l'appellation de "syndicalisme
révolutionnaire" et c'est à ces
idées-là que les militants de la FORA
vont s'opposer.
Les anarchistes argentins observent à juste titre
que <<les "syndicalistes neutres",
en rejetant tout compromis avec ce qu'ils appellent
"les dogmes", admettent la conception fataliste
du marxisme : ils confient au développement
industriel des nations et à la prédominance
toujours plus envahissante du capitalisme la tâche
de créer, chez les peuples et chez les individus,
les aptitudes nécessaires pour préparer
et réaliser la révolution>>9.
Or les militants de la FORA ne croient pas à
l'idée suivant laquelle le développement
du capitaliste produit en son sein sa propre contradiction.
Pour eux la révolution ne coïncide pas
avec l'aboutissement du processus capitaliste. Au contraire,
le prolétariat <<doit être une muraille
qui arrête l'expansion de l'impérialisme
industriel. C'est seulement ainsi, en créant
des valeurs éthiques capables de développer,
dans le prolétariat, la compréhension
des problèmes sociaux indépendamment
de la civilisation bourgeoise, que l'on arrivera à
constituer les bases indestructibles de la révolution
anticapitaliste et anti-marxiste : la révolution
qui détruise le régime de la grande industrie
et des trusts financiers, industriels et commerciaux...>>10.
Au lieu de confier à une force extérieure
la tâche de transformer le monde, les militants
de la FORA comptent donc avant tout sur la force de
leurs idées, ainsi que sur la combativité
et la créativité du prolétariat
conscient.
Dans le même esprit, la FORA refuse le postulat
suivant lequel le syndicat constituerait l'embryon
de la société future, l'idée de
remplacer le pouvoir de l'État par celui du
syndicat allant à l'encontre de ses principes
antiautoritaires. Ses militants sont partisans de la
libre association des producteurs et de la libre fédération
des associations de producteurs et de consommateurs.
Pour eux, le syndicalisme est le produit du système
capitaliste et doit disparaître avec lui.
Les militants de la FORA avaient choisi de construire
une organisation ouvrière, mais ils ne l'idéalisaient
pas. Pour eux le syndicalisme n'était qu'un
moyen, <<une arme d'urgence qui ne contient pas
d'autres promesses d'avenir que celles que peuvent
lui donner les hommes qui s'en servent. Outre les services
qu'ils rendent aux travailleurs pour se défendre
de l'exploitation capitaliste, ses organes sont d'efficaces
véhicules pour la diffusion des idéaux
anarchistes, mais les anarchistes ne peuvent oublier
leur devoir de critique vis-à-vis de toutes
les institutions...>>11 Cette critique s'appliquait
aussi à la FORA, à laquelle ils refusaient
d'attribuer un rôle dirigeant. Ils considéraient
même que, durant les périodes révolutionnaires,
l'organisation ouvrière pouvait être une
entrave. Et que la spontanéité des opprimés,
s'ils étaient porteurs des valeurs libertaires
et aguerris par les luttes quotidiennes, était
la meilleure garantie de succès.
Nous allons maintenant brièvement retracer les
grandes lignes de l'évolution de ce "syndicalisme
révolutionnaire" argentin auquel les militants
ouvriers anarchistes de la FORA se sont tant opposés.
Le destin du "syndicalisme révolutionnaire"
argentin
Les idées syndicalistes révolutionnaires
ont été importées en Argentine
par des intellectuels socialistes et c'est au sein
du PS qu'elles ont tout d'abord été connues.
Dès 1905, ce courant édite un périodique
La Acción socialista et jette son dévolu
sur la petite centrale syndicale du parti socialiste
(PS) : l'Union générale des travailleurs
(UGT). En 1906, le congrès du PS invite les
"syndicalistes révolutionnaires" à
quitter ses rangs. A ce moment-là, ils sont
déjà parvenus à dominer les instances
de l'UGT et, rejetant la voie parlementaire, ils se
lancent à la conquête du mouvement ouvrier
argentin. Pour cela, ils vont tenter de s'unifier à
la FORA, qui est la centrale ouvrière majoritaire.
Mais les différentes tentatives d'unification
(1907, 1909, 1912) sont des échecs. Les militants
de la FORA, attachés à la finalité
communiste libertaire de leur organisation, opposent
une fin de non recevoir à l'exigence de neutralité
idéologique des "syndicalistes révolutionnaires".
Partant de leur volonté de voir la classe ouvrière
argentine réunie au sein d'un seul syndicat
idéologiquement neutre, les dirigeants de l'UGT
vont, au cours de la deuxième décade
du siècle, lancer une véritable OPA12
sur la FORA. En 1909, ayant réussit à
gagner à sa cause quelques syndicats indépendants,
l'UGT change son nom pour celui de Confédération
ouvrière de la région argentine (CORA).
S'agissait-il d'une tentative de créer la confusion
par la ressemblance des noms ? En tout cas, les statuts
de la nouvelle centrale syndicale, par leur rejet des
partis politiques et du parlementarisme, sont très
semblables à ceux de la FORA.
En 1914, la CORA s'auto-dissout et ses adhérents
intègrent les rangs de la FORA. Par ce stratagème,
ils parviennent, un an plus tard, en 1915, à
faire adopter le principe de neutralité idéologique
par le 9ème congrès de la FORA. L'abandon
de la finalité anarchiste ne fut pas acceptée
par tous les militants et, en 1916, un certain nombre
de syndicats décident de refuser les résolutions
du 9ème congrès et de maintenir la déclaration
en faveur du communisme libertaire adoptée lors
du 5ème congrès de la FORA. A partir
de ce moment-là et jusqu'en 1922, il y aura
deux FORA : la FORA 5o appelée aussi FORA "communiste"
qui regroupe les organisations ouvrières se
réclamant du communisme libertaire et la FORA
9o ou FORA "syndicaliste" favorable à
la neutralité idéologique.
En fait de neutralité, celle-ci allait rapidement
être jetée aux orties. Les dirigeants
de la FORA 9o vont en effet se rapprocher du nouveau
gouvernement radical de Yrigoyen qui accède
au pouvoir en 1916.
Cette évolution de la FORA 9o ne se fera pas
sans provoquer de mécontentements parmi les
travailleurs organisés, et beaucoup d'entre-eux
rejoindront les rangs de la FORA 5o; pourtant les contacts
que la centrale "syndicaliste" va nouer avec
le pouvoir contribueront à son développement.
Le pouvoir va surtout s'appuyer sur le syndicat des
dockers puis sur celui des cheminots qui constituent
la véritable colonne vertébrale du "syndicalisme
révolutionnaire" argentin. L'appui gouvernemental
et le développement de ces fédérations
d'industrie vont de pair.
Les "syndicalistes" se rapprochent du gouvernement
Le leader radical, qui n'avait gagné les élections
que d'une courte majorité, comprit rapidement
l'intérêt qu'il avait à se rapprocher
du mouvement syndical. Tout vote pris à l'abstention
ou au parti socialiste était pour lui bienvenu.
Durant les premières années de son gouvernement,
Yrigoyen joue un rôle médiateur dans les
grèves des dockers et des cheminots, permettant
l'obtention de considérables avantages pour
les travailleurs de ces secteurs. <<Les syndicalistes,
quant à eux, toujours flexibles et pragmatiques,
ne tardèrent pas à laisser de côté
leurs principes anti-étatiques quand ils virent
que l'appui du gouvernement s'avérait décisif
pour l'obtention de leurs revendications et cultivèrent
assidûment l'amitié du président>>13.
Aux avantages pour la branche d'activité devaient
s'ajouter des acquis plus individuels, comme l'obtention
d'emplois au sein de l'administration, pour certains
syndicalistes...
Avec la semaine tragique de janvier 1919, l'entente
entre la FORA 9o et le pouvoir va cependant se détériorer.
Rappelons que ces événements ont débuté
par le massacre des ouvriers grévistes d'une
entreprise métallurgique de Buenos Aires (quatre
morts et quarante blessés). Au départ,
seule la FORA 5o (anarchiste) appelle à la grève
générale, la FORA 9o se limitant, dans
un premier temps, à des protestations verbales.
Mais, devant l'ampleur de la mobilisation populaire,
la FORA 9o se joint au mouvement et tente d'en prendre
la tête... pour rapidement appeler les travailleurs
à reprendre le travail. Alors que la FORA 5o
tente de développer la potentialité révolutionnaire
de la mobilisation nous sommes au lendemain de la
révolution russe et les espoirs des travailleurs
sont immenses les dirigeants de la FORA 9o s'efforcent
de circonscrire le conflit autour des ateliers Vasena
où le massacre initial s'était produit.
Encore une tentative d'unification
Malgré la répression qui accompagne ces
événements, l'Argentine connaît
une importante combativité ouvrière au
début des années '20. Une nouvelle tentative
d'unification du mouvement ouvrier se produit alors.
En janvier 1921, une délégation du conseil
fédéral de la FORA 5o assiste au congrès
de la FORA 9o où le principe d'une réunification
des deux organisations est adopté. Un comité
pour l'unité constitué par cinq représentants
de chacune des deux FORA et cinq représentants
de syndicats autonomes se met au travail. Mais rapidement
les anarchistes auront l'occasion de mettre à
l'épreuve la volonté unitaire des "syndicalistes".
En avril et mai 1921, une importante grève revendicative
éclate au sein de l'entreprise La Forestal,
dans la province du Chaco, au nord du pays. La FORA
5o fait alors appel à la FORA 9o pour organiser
un vaste mouvement de solidarité avec les grévistes,
mais la FORA 9o tergiverse, fait attendre sa réponse
jusqu'au moment où l'armée intervient
et écrase le mouvement. D'autres manquements
à la solidarité ouvrière aggraveront
le rejet de l'unité chez les adhérents
de la FORA 5o. En août 1921, un référendum
interne à la FORA 5o enterre définitivement
le projet de fusion.
De son côté la FORA 9o poursuit le processus
avec des syndicats autonomes et quelques organisations
ouvrières ayant appartenu à la FORA 5o.
En 1922, ces éléments constituent une
nouvelle centrale appelée Union syndicale argentine
(USA) qui adopte, dans ses statuts, les principes du
syndicalisme révolutionnaire : unité
du mouvement ouvrier, action directe, apolitisme...
Partant de l'idée que le capitalisme est condamné
à disparaître <<en raison du développement
progressif (...) de la classe ouvrière organisée>>,
la USA fait sien le slogan <<tout le pouvoir
aux syndicats>>14.
Voici comment la FORA 5o redevenue FORA tout court décrit
les participants à ce processus : <<une
coalition formée de socialistes, de syndicalistes,
de communistes et d'anarcho-bolchéviques, après
une nouvelle campagne systématique pour s'approprier
la Fédération ouvrière régionale
argentine, a réalisé un prétendu
congrès d'unification, durant lequel (...) ils
ont a nouveau changé le nom de leur organisme,
pour l'appeler Union syndicale argentine>>15.
Faut-il adhérer à l'Internationale syndicale
rouge ou à l'AIT ?
Dès le départ, la USA est partagée
entre la volonté d'unité affirmée
dans les principes du syndicalisme révolutionnaire
qu'elle adopte et les luttes intestines que se livrent,
en son sein, les différents courants qui la
composent. Les discussions sur l'adhésion à
une internationale syndicale, en 1922, illustrent le
problème. Certains de ses membres souhaitent
alors voir la centrale adhérer à l'Internationale
syndicale rouge (ISR) qui vient de se créer
à Moscou, d'autres mènent campagne pour
l'Association internationale des travailleurs (AIT)
en voie de constitution à Berlin. La USA, qui
a alors des contacts avec les deux organismes, décide
d'organiser un référendum parmi ses adhérents
pour savoir si elle doit se rendre au congrès
de l'ISR ou à celui de l'AIT. Les résultats
de ce vote, qui a lieu en octobre 1922, témoignent
du rapport de force initial au sein de la USA. Soixante-neuf
syndicats (17'557 cotisants) se déclarent opposés
aux deux congrès. Vingt-trois syndicats (5617
cotisants) pour le congrès de Moscou. Cinq syndicats
(1'502 cotisants) pour celui de Berlin et sept syndicats
(1.071 cotisants) pour la participation aux deux congrès.
Au nom de l'unité du mouvement ouvrier argentin,
la USA renonça donc à s'affilier à
une internationale syndicale. Mais cette "unité"
allait être de courte durée. En 1926,
les militants socialistes, entravés par la règle
qui interdit aux responsables syndicaux d'être
candidats à des élections, quittent la
USA pour fonder leur propre centrale : la Confédération
ouvrière argentine (COA). En 1929, ce sont les
communistes qui abandonnent le navire pour constituer
leur syndicat : le Comité d'unité syndicale
classiste.
A la fin des années '20, le mouvement syndical
argentin se retrouve donc complètement divisé
à partir des critères idéologiques
auxquels le "syndicalisme révolutionnaire"
prétendait résister. Pourtant cette idéologie
ne va pas disparaître pour autant. Tout en restant
présente au sein du mouvement syndical, elle
va subir un certain nombre de mutations qui l'amèneront
à jouer un rôle important dans la gestation
du péronisme.
Le 6 septembre 1930, a lieu le coup d'Etat du général
Uriburu. La FORA est interdite, ses locaux sont fermés,
ses militants sont poursuivis, détenus, déportés
et même dans certains cas fusillés. Dès
lors, l'organisation ouvrière anarchiste va
connaître un inexorable déclin. Par contre,
le "syndicalisme révolutionnaire"
va se maintenir au travers de différentes mutations
que nous allons brièvement évoquer.
Du "syndicalisme révolutionnaire" au
péronisme
Au lendemain coup d'Etat, le syndicat socialiste COA
et la USA fusionnent pour constituer une nouvelle organisation
appelée Confédération générale
du travail (CGT) en référence à
la CGT française. Si cette réunification
est à mettre en rapport avec la répression
(bien que celle-ci vise surtout les anarchistes et
les communistes), il faut aussi souligner le rôle
joué par l'Union ferroviaire (UF). Cette fédération
de tendance "syndicaliste révolutionnaire",
avait adhéré à la COA (socialiste)
car la USA lui reprochait sa trop grande centralisation.
Au moment de la constitution de la CGT, elle compte,
avec ses 45'000 adhérants, probablement plus
de membres que la USA et la COA réunies.
Pendant les premières années, la CGT est
dominée par les anciens de la USA et les membres
de l'UF, donc par la tendance "syndicaliste révolutionnaire".
Elle adopte une attitude extrêmement modérée
vis-a-vis de la dictature. Les dirigeants syndicaux
fréquentent la junte militaire et en arrivent
à appuyer explicitement sa politique en 1933.
A partir de 1934, au sortir de la crise économique,
l'Argentine connaît un renouveau des luttes ouvrières,
mais celles-ci ne sont pas soutenues par la direction
de plus en plus bureaucratique de la CGT.
A la fin de 1935, la lutte de tendances internes entre
"syndicalistes" et socialistes va prendre
un tournant assez inattendu. Renforcés par l'adhésion
des communistes qui suivant les consignes du Comintern
en faveur du front populaire rejoignent la CGT, les
socialistes s'emparent tout d'abord de la tête
de l'UF, puis délogent de leurs locaux, par
la force, les dirigeants "syndicalistes révolutionnaires"
de la CGT. Il y a alors deux CGT, mais celle dirigée
par les "syndicalistes" est la plus faible.
En 1937, ceux-ci tentent de ressusciter la USA, c'est
l'échec. A l'image de la FORA, la USA apparaît
alors comme un vestige du passé. Cependant,
les attitudes caractéristiques développées
les années précédentes par les
"syndicalistes révolutionnaires" se
perpétuent sous le verni socialiste de la nouvelle
direction de la CGT. Les communistes et un certain
nombres de socialistes émettent toujours les
mêmes critiques qu'auparavant vis-à-vis
de la nouvelle équipe dirigeante. Ils lui reprochent
son apolitisme, ses relations avec le pouvoir, ses
manoeuvres bureaucratiques pour se maintenir à
la tête de la CGT... Selon Hugo del Campo, <<il
s'agissait de deux stratégies différentes
qui ne répondaient pas seulement à des
motivations idéologiques, mais aussi à
des réalités objectives. Les grands syndicats
des transports qui encadraient la majorité des
travailleurs de leur secteur (...) pouvaient paralyser
le pays. Pour obtenir leurs revendications, ils comptaient
surtout sur leur propres forces. De plus leurs interlocuteurs
n'étaient pas seulement les entreprises, mais
aussi le gouvernement (...) plus l'image qu'ils présentaient
était politiquement neutre, plus leur capacité
de pression était importante (...). La majorité
des autres syndicats ne réunissaient qu'une
minorité des travailleurs de leur secteur (10%
à 15% en moyenne) (...). Incapables d'obtenir
leurs revendications par leurs propres forces, ils
ne pouvaient espérer la solution de leurs problèmes
que dans le cadre d'un changement politique global.
C'est pourquoi, ils se sentaient attirés par
l'idée du front populaire lancée par
les communistes et qui comptait de nombreux partisans
au sein du PS>>16.
En 1943, ces divergences sont la cause d'une nouvelle
scission. Une CGT no2 dominée par les communistes
se constitue, mais celle-ci est presque immédiatement
interdite, suite au coup d'Etat du général
Ramirez. C'est alors qu'un colonel du nom de Perón
prend la tête du secrétariat au Travail
mis en place par la junte militaire. Par une série
de concessions à la classe ouvrière et
d'habiles manoeuvres (infiltration de la CGT...) Perón,
qui se déclare partisan de la neutralité
idéologique du syndicalisme, parvient petit
à petit à gagner à sa cause une
partie du mouvement ouvrier. L'un des premiers syndicats
à lui être favorable est l'Union ferroviaire
(UF) à la tête de laquelle il place un
homme à lui : le colonel Mercante. Mais progressivement,
un certain nombre de dirigeants de la CGT ainsi que
Luis Gay, le secrétaire général
de la USA, vont passer dans son camp.
En 1945, le régime militaire s'essouffle. Il
doit faire face à une opposition de gauche,
qui lutte pour la démocratie, et aux organisations
patronales qui lui reprochent sa politique en faveur
des ouvriers. Contraint à démissionner,
Perón déclare au cours d'une manifestation
radiodiffusée : <<L'émancipation
de la classe ouvrière repose sur l'ouvrier lui-même>>.
Il est emprisonné, mais quelques jours plus
tard, par 21 voix contre 19, la direction de la CGT
appelle à la grève générale
<<pour la défense des conquêtes
sociales, l'augmentation des salaires...>>. C'est
l'occasion d'un gigantesque mouvement, en bonne partie
spontané, en faveur de Perón qui est
libéré. Il se porte immédiatement
candidat aux élections présidentielles
prévues pour février 1946. Un parti "travailliste"
composé de syndicalistes se constitue pour le
soutenir. Il a face à lui une "Union démocratique"
qui réunit la quasi totalité de la classe
politique, des conservateurs aux communistes. C'est
alors qu'un événement va favoriser l'irrésistible
ascension de Perón.
En janvier 1946, les patrons refusent de payer aux ouvriers
le treizième salaire adopté par un décret
du secrétariat au travail. Ils reçoivent
le soutien des communistes et des socialistes. La grève
ouvrière qui se produit alors a, quant à
elle, l'appui du gouvernement militaire encore en exercice
! La gauche a définitivement perdu sa crédibilité
parmi les travailleurs. Avec un programme à
la fois nationaliste et socialiste, Perón emporte
les élections par 1'478'000 voix contre 1'212'300.
Début 1947, le parti travailliste se transforme
en parti péroniste. Le syndicaliste Luis Gay
qui s'oppose à ce changement est accusé
d'intelligence avec l'ennemi et disparaît de
la vie politique. Les syndicats sont progressivement
purgés des vieux leaders syndicaux qui sont
remplacés par des hommes de l'entourage de Perón.
En 1950, la CGT intègre le parti péroniste
et devient le pilier d'un régime de plus en
plus autoritaire...
En guise de conclusion
En suivant pas à pas le triste destin du "syndicalisme
révolutionnaire" argentin, on se dit que
les mises en garde de la FORA à l'encontre de
la neutralité idéologique du syndicalisme
avaient quelque chose de prémonitoire. Un mouvement
qui se prétend sans idéologie, qui abandonne
ses valeurs éthiques au nom de la lutte des
classes, de l'efficacité immédiate, a
bien des chances d'être récupéré
par le premier démagogue venu.
Faut-il reprocher aux militants de la FORA une trop
grande raideur idéologique ? Peut-on dire que
les compagnons argentins auraient dû agir autrement
qu'ils ne l'on fait ? Nul ne peut réécrire
l'Histoire.
La FORA, comme d'autres mouvements de résistance
au capitalisme de la même période, s'est
trouvé confrontée à des phénomènes
adverses d'une telle ampleur, qu'elle a finalement
été marginalisée. Parmi ces phénomènes
on peut citer : l'expansion économique, la répression,
les coups d'Etat militaires, l'immense espoir suscité
par le mirage de l'URSS et peut-être surtout
l'idéologie productiviste commune au marxisme,
au libéralisme, au nationalisme...
Une règle non écrite veut que les "vaincus",
les oubliés de l'Histoire, n'aient pas droit
au chapitre. C'est pour cela peut-être que l'anarchisme
ouvrier de la FORA est tellement méconnu. Certes
l'Argentine n'a pas vécu, à la différence
de l'Espagne, de bref été de l'anarchie.
Cela dit, il faut relever que les mouvements qui s'en
sont tenus aux principes du syndicalisme révolutionnaire
sans être récupérés par
le système, comme les Industrial Workers of
the World (IWW) aux Etats-Unis, même s'ils sont
plus connus, n'ont pas eu, dans leur pays, la même
importance que la FORA. Le fait que l'Argentine soit
un pays périphérique explique peut-être
pourquoi on connaît si mal son histoire. Quoi
qu'il en soit, si l'on veut travailler à un
renouveau de l'anarcho-syndicalisme, les élaborations
des militants qui nous ont précédés
constituent un matériel de réflexion
utile, non pour en faire une orthodoxie ce qui serait
contraire à l'esprit de leurs auteurs mais
comme instruments critiques.
Notes :
1 Comme nous allons l'expliquer plus loin, le "syndicalisme
révolutionnaire" qui s'est développé
en Argentine constitue une interprétation discutable
de cette doctrine, c'est pourquoi nous utilisons des
guillemets. Il n'y en a pas quand nous parlons du syndicalisme
révolutionnaire en général.
2 Congrès anarchiste tenu à Amsterdam,
août 1907, Paris, La Publication sociale, 1908,
p. 79.
3 Emilio López Arango, Diego Abad de Santillán,
El anarquismo en el movimiento obrero, Ediciones Cosmos,
Barcelone, 1925, p. 164.
4 Ibid. p. 106.
5 Ibid. p. 162.
6 Jorge N. Solomonoff, Ideologías del movimiento
obrero y conflicto social, Editorial Proyección,
Buenos Aires, 1971, p. 194. Cité in Antonio
López, La FORA en el movimiento obrero, Centro
Editor de America latina, Buenos Aires, 1987, Tome
1, pp. 69-70.
7 Pour plus d'informations sur les anarchistes et
la charte d'Amiens consulter Jean Maitron, Le mouvement
anarchiste en France, Tome 1, Tel Gallimard, p. 318
et suivantes.
8 Lorsque la CGT devint progressivement réformisme,
les soréliens se rapprochèrent l'Action
française avec l'espoir de faire sortir la bourgeoisie
de sa lâcheté et donner un nouveau souffle
à la lutte des classes. A la fin de sa vie,
Sorel se déclara admirateur de Lénine
et de la révolution russe, mais nombre de ses
disciples à l'image d'Humbert Lagardelle qui
fut ministre du travail sous Pétain évoluèrent
vers le fascisme.
9 Emilio López Arango, Diego Abad de Santillán,
op. cit., p. 49.
10 Ibid, p. 118.
11 Mémoire présenté au Congrès
de l'AIT, publié à Buenos Aires en 1924,
cité in Antonio López, op. cit., Tome
2, p. 173.
12 Offre publique d'achat : stratégie boursière
visant a acquérir la majorité des actions
d'une société afin d'en prendre la direction.
Le terme est utilisé ici au sens figuré.
13 Hugo del Campo, El "sindicalismo revolucionario"
(1905-1945), Centro Editor de America latina, Buenos
Aires, 1986, pp. 13-14.
14 Cité in Hugo del Campo, ibid., pp. 74-75.
15 Rapport de la FORA au congrès constitutif
de l'AIT (1922), cité in Antonio López,
op.cit., Tome 2, p. 169.
16 Hugo del Campo, op. cit., pp. 17-18.
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